Lutte contre l’islamisme radical : Washington dit s’inquiéter pour la «liberté religieuse» en France

L’émissaire des Etats-Unis pour la liberté religieuse s’est inquiété pour la «liberté religieuse» en France. Des déclarations faisant suite à des polémiques entre Emmanuel Macron et des médias anglo-saxons au sujet de la lutte contre l’islamisme.

Sam Brownback, émissaire des Etats-Unis pour la liberté religieuse, a émis des critiques, le 8 décembre, contre le cap pris par les autorités françaises afin de lutter contre l’islamisme radical, après les récents attentats en France (à Conflans-Sainte-Honorine et à Nice, les 16 et 29 octobre). Je suis inquiet, évidemment, pour ce qui se passe en France   Interrogé par des journalistes à propos de la politique menée par Emmanuel Macron contre l’islamisme radical, Sam Brownback s’est ainsi dit «inquiet». «Je suis inquiet, évidemment, pour ce qui se passe en France», a déclaré, le 8 décembre, l’émissaire des Etats-Unis pour la liberté religieuse, membre du parti républicain.   «Il peut y avoir un dialogue constructif qui peut, je pense, être utile [mais] quand on est trop répressif, la situation peut s’aggraver», a prévenu ce diplomate américain, au lendemain de la publication, le 7 décembre, de la nouvelle liste noire américaine sur la liberté de religion dans le monde, qui met à l’index cette année le Nigeria aux côtés de l’Arabie saoudite, de la Chine ou encore de l’Iran. Une occasion pour le secrétaire d’Etat américain, Mike Pompeo, de marteler sur Twitter le 7 décembre que «les Etats-Unis ont un engagement inébranlable en faveur de la liberté religieuse». «Aucun pays ou entité ne devrait être autorisé à persécuter impunément des personnes en raison de leurs croyances», assure-t-il.

«Notre point de vue, c’est que le rôle du gouvernement est de protéger la liberté religieuse. Vous ne pouvez pas pratiquer votre foi de façon violente […] mais si vous pratiquez votre foi pacifiquement, vous êtes dans votre bon droit», a ajouté Sam Brownback. Selon lui, «les pays s’en sortent mieux lorsqu’ils travaillent avec les chefs religieux pour identifier les inquiétudes et les problèmes, sans entrer en conflit avec des groupes religieux». «Ils ont leurs droits fondamentaux en matière de liberté religieuse et ceux-ci doivent être honorés et protégés par le gouvernement», a aussi estimé l’émissaire américain au sujet des musulmans en France.

L’exécutif français a décidé d’adopter de nouvelles mesures face à l’islamisme radical à la suite de l’assassinat, à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines) le 16 octobre, de Samuel Paty, un professeur qui avait montré en classe des caricatures de Mahomet dans un cours sur la liberté d’expression, et d’un attentat, le 29 octobre, qui a fait trois morts dans la basilique de Nice, dans le sud-est de la France.

Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur a annoncé le 2 décembre une «action massive et inédite» contre 76 mosquées et a dissous des associations décrites comme des «officines islamistes» œuvrant «contre la République». Ce fut le cas, par exemple, de l’association Le collectif contre l’islamophobie en France et de l’organisation non gouvernementale Barakacity.  Le gouvernement français a en outre détaillé, ce 9 décembre, son projet de loi «renforçant les principes républicains», qui vise à lutter contre «les séparatismes» et l’islamisme radical. Le texte contient notamment des dispositions destinées à restreindre l’instruction à domicile, qui concerne désormais 62 000 enfants, soit deux fois plus qu’en 2016. La loi permettra aussi un contrôle accru du fonctionnement et du financement des associations, ainsi que des lieux de culte. Elle entend également mettre en œuvre un meilleur encadrement de la haine en ligne et créer un «délit de pression séparatiste» visant à protéger les fonctionnaires victimes de menaces ou violences.

Une partie de la presse anglo-saxonne dénonce une «islamophobie» des autorités françaises

Dans le monde musulman, comme au Pakistan et en Indonésie, cette réponse, ainsi que les déclarations du président français en faveur de la liberté de caricature, ont pu être perçues comme une attaque contre l’islam en général. Des appels au boycott de produits français ont été relayés, notamment par le président turc Recep Tayyip Erdogan, engagé dans un face à face tendu avec Emmanuel Macron.

La position des autorités françaises n’a pas seulement été critiquée dans le monde musulman, mais aussi chez une partie des médias anglo-saxons. «La France se bat contre le séparatisme islamiste, jamais contre l’islam», s’était justifié Emmanuel Macron, dans une «lettre à la rédaction» publiée, le 4 novembre, dans le quotidien britannique Financial Times. Le président français disait être «accusé», par le journal anglais, de «stigmatiser, à des fins électorales, les Français musulmans ; pire, d’entretenir un climat de peur et de suspicion à leur égard».  Le 12 novembre, il décroche même le téléphone pour se plaindre, auprès du célèbre organe de presse américain le New York Times, de certains médias anglophones qui, selon lui, «disent que le cœur du problème, c’est que la France est raciste et islamophobe ».

«Liberté religieuse» à l’américaine versus «laïcité» à la française ?

Pour Ben Smith, le journaliste du New York Times qui avait recueilli les doléances d’Emmanuel Macron, ce dernier reproche aux médias américains de chercher «à imposer leurs propres valeurs à une société différente», sans comprendre «la laïcité à la française».   Le président français est encore longuement revenu, lors d’un entretien, le 4 décembre, sur le média en ligne Brut, sur ces critiques, assurant que la France n’avait «pas de problèmes avec l’islam». «[La France] a même une relation de longue date [avec l’islam]. Simplement, nous avons construit notre République, notre projet collectif, dans la séparation entre le politique et le religieux, c’est ça que parfois beaucoup de régions du monde ont du mal à comprendre», a tenté d’expliquer le chef d’Etat français. «J’ai été frappé que la presse anglo-saxonne a même dit : « Ces Français sont étranges, ils ont insulté le prophète, ils n’aiment pas l’Islam, ils ont un problème avec cette religion »», a-t-il ajouté.   De la même manière, Emmanuel Macron a défendu une fois de plus la liberté d’expression et le droit de critiquer et de caricaturer les religions. Jusqu’ici, le gouvernement américain avait vivement dénoncé les attentats d’octobre en France et s’était tenu à l’écart de cette polémique. Les critiques de Sam Brownback reflètent toutefois, selon l’AFP, un positionnement très différent, à Washington, dans la relation de l’Etat à la religion. Les Etats-Unis disent défendre la «liberté de religion» avant tout, et voient avec suspicion toute restriction à sa pratique. Ce principe a été érigé en «première des libertés» par le chef de la diplomatie américaine Mike Pompeo, qui invoque régulièrement Dieu dans ses prises de position publiques.

RT France

F. Achouri

Sociologue.

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