Au Maroc, l’Église catholique est composée uniquement d’étrangers et les relations interreligieuses sont encadrées par la loi. Archevêque de Rabat depuis mai 2001 et président de la Conférence des évêques de la région nord de l’Afrique, Mgr Vincent Landel a trouvé sa place et accomplit sa mission dans la sérénité. Rencontre.
« Notre Église est celle de la gratuité la plus totale. Dans un monde qui veut être efficace de tous côtés et parce qu’on fait 50 000 choses avec un porte-monnaie bien garni, la gratuité totale a un sens, elle ouvre à une autre dimension. »
« Nous suivons l’exemple du bienheureux Charles de Foucauld : il a retrouvé le Jésus de son enfance grâce à la rencontre des musulmans au Maroc, indique l’archevêque de Rabat, né dans ce pays en 1941. Cette situation nous invite à approfondir notre foi. Avec 30 000 chrétiens pour 33 millions d’habitants, notre présence est symbolique, mais importante. Simplement être ce que je suis, accompagner les musulmans avec notre humanité. “Je te respecte dans ce que tu vis, je te demande de respecter ce que je vis.”Nous sommes invités à entrer en dialogue, non pas théologique, mais dans la rencontre. Avec 10 000 étudiants subsahariens, l’université est le seul lieu où des jeunes musulmans peuvent voir que d’autres jeunes vivent autre chose, dans le domaine spirituel.»
Étudiants, migrants, cadres de multinationales, diplomates… Issus de 90 nationalités majoritairement d’Afrique noire, les catholiques représentent une mosaïque de milieux, cultures et langues avec deux caractéristiques : « une Église très jeune, 35 ans de moyenne d’âge. Et tous les ans en juin, un quart s’en va, remplacé par un nouveau quart en septembre. Renouvellement complet tous les 4 ans.»
Un fort investissement des jeunes Africains
Logiquement, « l’un des défis de l’Église, c’est la communion. À bâtir autour de Jésus-Christ et du Maroc ». Mais comment faire, sur ce diocèse qui s’étend sur l’ensemble du pays ? Par des mouvements de spiritualité ou d’action catholique ? Non, « car des sensibilités différentes se succèdent ». Des rencontres, des réunions ? « Les gens sont très pris…»
Et pourtant elle tourne, cette communauté, notamment grâce à l’investissement fort de jeunes Africains qui se partagent entre études et service spirituel et matériel des paroisses. Alors l’évêque, qui n’a qu’une trentaine de prêtres, « rencontre les gens en catéchèse ou à la sortie des messes, beaucoup de manière informelle. Je m’astreins à aller chaque dimanche dans une communauté différente, qu’elle soit de 4 ou de 300 personnes. Il faut aider la vie paroissiale à “éclater”, à faire communion à travers le témoignage de la charité et de la prière ».
La prière, cette réalité à laquelle renvoient particulièrement le monastère des Clarisses et celui des Trappistes, Notre-Dame de l’Atlas où vit l’un des frères rescapés de Tibhirine. D’autres consacrés, religieux et religieuses, vivent en petites communautés. Mais la communion entre chrétiens est « nécessaire aussi car on ne peut pas ici vivre la division des chrétiens. Il est important de faire marche commune : pour un musulman, tout Européen est chrétien et le “responsable” des chrétiens, c’est l’archevêque catholique ». Chaque trimestre, les responsables catholiques, protestants de différentes dénominations, un prêtre anglican et un prêtre orthodoxe se réunissent en conseil œcuménique. Catholiques et protestants ont aussi ouvert en 2012 un centre œcuménique de formation, destiné aux chrétiens vivant dans un pays au contact de musulmans.
Trois périphéries
En 1985, invité par le roi Hassan II, Jean-Paul II rencontrait 80 000 jeunes musulmans. Le pape François exhorte aujourd’hui à aller aux «périphéries». « C’est ce qui me “booste” dans son discours, confie Mgr Landel, et ici il y a trois “périphéries”. Le dialogue islamo-chrétien est la grande périphérie de notre monde. Ensuite, les migrations avec l’enclave espagnole de Melilla. Tant de migrants qui tentent de passer. Que faire ? Caritas, le bras charitable de l’Église, essaie d’agir. Enfin, la géopolitique. Tout problème en Afrique subsaharienne se répercute ici, comme par exemple les étudiants qui ne perçoivent plus leurs bourses… Mais cessons les lectures religieuses de tous les conflits, certes plus faciles que d’appliquer une grille politique ! À Bangui, le grand imam et l’archevêque disent bien que le problème n’est pas religieux. »
« Une des missions de notre Église est de parler de tous ces problèmes : problèmes des migrations, problème du dialogue islamo-chrétien… Il est important de le dire : il existe une Église dans tous les pays du Maghreb. Nous rencontrons des musulmans en faisant des choses ensemble : scolarisation, formation féminine, solidarité, associations, Caritas… On apprend à se rencontrer, s’accepter, s’aimer. Nous nous apercevons que les musulmans sont vraiment nos frères. Les chrétiens n’ont pas le monopole de la prière. Je dis aux chrétiens qui rentrent : “je vous renvoie chez vous avec la responsabilité de dire qu’il est possible de vivre la foi chrétienne en étant heureux dans un pays musulman.” C’est l’une des raisons d’être de notre Église au Maroc, présence gratuite au milieu de ce peuple qui nous accueille. »
L’archevêque n’ignore pas qu’il est souvent très difficile de comprendre de l’extérieur les restrictions faites aux croyants non-musulmans. « C’est vécu comme ça, commente ce Marocain de naissance. À chacun son travail, ne faisons pas celui de Dieu. Nous avons de la chance nous, chrétiens étrangers, d’avoir la liberté de culte. »
Le Monde des Religions