Pour Philippe Portier, directeur d’études à l’École pratique des hautes études, où il occupe la chaire Histoire et sociologie des laïcités, les catholiques n’ont jamais réellement déserté le champ politique
Constatez-vous un regain d’intérêt des catholiques pour la politique ?
Philippe Portier : Il n’a jamais disparu ! René Rémond, par exemple, affirmait que la condamnation de l’Action française avait créé une sorte de repli sur l’Action catholique, et une distance avec le politique. Une idée très développée dans les thèses d’histoire. Mais ce serait oublier qu’y compris dans la doctrine, la politique est considérée comme « l’expression la plus élevée de la charité » (encyclique Quadragesimus annus de Pie XI). Un grand nombre de parlementaires se revendique d’ailleurs catholiques, de la droite au centre gauche, jusque dans les années 1960.
En sens inverse, comment a évolué le politique sur la question religieuse ?
P. P. : Sous les IIIe et IVe République, la question religieuse est au cœur de la politique – les députés mentionnent leur appartenance confessionnelle, de nombreuses questions orales ou écrites portent sur ce sujet… La Ve République marque une privatisation de la religion, sans doute liée à l’apaisement de la laïcité. Lors du débat sur l’avortement, des députés se réaffirment catholiques. Plus récemment, les débats sur les lois de bioéthique sont l’occasion d’un retour des thématiques religieuses pour contrer les évolutions sécularisantes de la société. On voit revenir ces thématiques depuis les années 1990 de plusieurs manières : place à donner à l’islam et identité religieuse de la France, mais aussi lien entre politique de l’intime et droit naturel.
Quel est le mode d’engagement des catholiques ?
P. P. : S’apercevant que des sujets s’éloignent de la référence religieuse, ils se focalisent sur l’intime comme ressort de leur mobilisation. Sous l’influence de l’épiscopat, lui aussi recentré sur ces questions, l’Église que l’on croyait en voie de minorisation, d’invisibilité, trouve des relais à l’Assemblée nationale pour contrer des politiques qu’elle juge trop relativistes et libérales.
Quel est le profil de ces catholiques qui s’investissent à l’Assemblée nationale ?
P. P. : Ces députés sont principalement à droite. Ils ne viennent plus de l’Action catholique mais sont plutôt passés par l’enseignement catholique ou des mouvements familialistes ou spirituels, voire ont des parcours de convertis. Ils sont rejoints par d’autres, catholiques sans aller à la messe, qui estiment que la culture catholique fait partie de la culture française. Ils réutilisent la culture catholique comme fondement du vivre-ensemble.
Le sentiment minoritaire ressenti par les plus jeunes est-il un ressort de leur action ?
P. P. : Il est intéressant de voir que perdure une tentation « intégraliste » : les catholiques européens ont toujours eu du mal avec le clivage droite/gauche et sont davantage dans un schéma triangulaire avec un ennemi libéral et un ennemi socialiste. Les catholiques français aussi sont souvent tentés de renouer avec ce rêve de définir l’identité catholique contre ces deux identités modernes pour reconstituer une famille catholique unie, en surplomb en quelque sorte du monde politique. C’est ce que l’on voit encore aujourd’hui : certains essaient de transformer leur statut de minoritaires en force prophétique pour penser l’avenir. C’est ce que laisse entendre par exemple ce terme de « veilleurs »…
La Croix