Pourquoi un islam de France n’est pas possible

Ces derniers jours, dans un entretien accordé au Journal du dimanche, le président E. Macron annonce prudemment vouloir « poser des jalons » au premier semestre 2018 sur l’organisation de « l’islam de France ». Le défi est immense tant la volonté à vouloir organiser ce culte, depuis la création du Corif par Pierre Joxe en 1988, est confrontée à de nombreuses oppositions internes et externes. E. Macron est prudent et il a bien raison, il veut d’abord consulter des intellectuels et des universitaires pour annoncer sa feuille de route mais cela lui suffira-t-il ? L’islam contrairement aux autres religions est religion et cité (din wa dawla), à la fois religion et communauté temporelle. L’islam est un mode de vie, une religion qui se passe avant tout dans le cœur du croyant. Admettre la laïcité telle qu’elle s’exprime en France, c’est séparer le sacré du profane, la Vérité révélée de la vérité humaine, agir sans la lumière de la foi, c’est accorder à l’homme politique le pouvoir de régner en dehors de Dieu. L’islam est laïque dans le sens où  il distingue religion et pouvoir. Le pouvoir qu’un prophète exerce sur son peuple est de nature spirituelle et naît de la foi qu’il acquiert dans les cœurs, celui du prince est de nature matérielle, il aboutit à la soumission du corps sans qu’aucun contact ne soit établi avec les cœurs[1]. Le premier vise à diriger les hommes dans la voie juste et à les initier au Vrai, le second porte sur la gestion des services vitaux de la communauté et sur l’occupation des terres. Le Coran défend de manière explicite de faire du Prophète le gardien des hommes, un tyran ou un dominateur. Il exclut de la même façon d’utiliser la contrainte pour inculquer la foi. Le Prophète Muhammad n’avait aucun droit sur son peuple, au-delà de ce qui est requis pour délivrer le message prophétique. Le croyant est libre dans sa foi.

La République doit en effet réorganiser l’islam sur le plan matériel et intellectuel de la communauté. La laïcité rejette toute autorité religieuse dans la gestion des affaires de l’Etat où ce dernier reconnaît une égalité entre les cultes. Or ce n’est pas le cas, l’islam ne bénéficie pas des mêmes prérogatives et du même traitement que les autres cultes, et reste toujours sous la tutelle d’Etats étrangers. Organiser l’islam sur le plan pratique est possible en lui accordant les mêmes droits, en modifiant la Loi de 1905. Des propositions ont déjà été avancées dans ce sens par le passé, mais elles n’ont jamais été appliquées. Il était question d’intégrer l’islam à la loi de 1905 sur la question du financement cultuel, notamment celui de l’aumônerie à l’heure où la demande est criante par exemple dans les hôpitaux ou les prisons avec les problèmes de radicalisation que l’on connaît. Tant que la gestion de l’islam sera confiée au ministère de l’Intérieur et à l’influence d’Etats étrangers, nous assisterons malgré des courants volontaristes à un échec, car le réagencement d’un culte ne se décrète pas sur des considérations sécuritaires ou sur le contrôle des fidèles. Organiser l’islam sur le volet pratique est primordial mais cela doit également se manifester sur le terrain de l’éducation et de la formation, en relançant la création de centre d’enseignements islamiques déjà réclamés par M. Arkoun il y a plus de vingt ans. L’enseignement du fait religieux à l’école primaire est déjà une bonne initiative dans un contexte où les ignorances sont transmises au sein de la cellule familiale. L’éveil et le devenir du musulman en France ne peuvent se concevoir que sur les bancs de l’école, de l’université et des instituts, à l’heure où internet accroît l’atomisation et la division d’une communauté hétérogène dans sa pratique. Il n’y a pas de clergé en islam, le croyant est libre mais il est fondamental de diriger le musulman dans la voie « juste » de l’apprentissage.

Quelle est la nécessité de former des imams étrangers à la laïcité, quand la communauté musulmane dans son ensemble, ne remet pas en cause la liberté de conscience qu’elle a intégré au même titre que la loi de 1905, comme il serait  plus simple, de ne recruter que des imams français. Le problème de l’islam en France n’est pas un problème d’islam français, il concerne l’islam depuis le IXième siècle. Le monde musulman souffre de l’absence d’un effort de réflexion (ijtihâd) et de consensus (ijma) pour faire une différenciation entre une modernisation libératrice et une occidentalisation aliénante. Il n’y aura pas un islam de France ou en France, car l’islam a une vocation universelle. M. Bennabi avance que «  l’idée n’est pas d’opposer artificiellement théologie et modernité mais de suggérer pour les théologiens une formation plus en harmonie avec leurs nouvelles tâches : éclairer la conscience religieuse et l’élever au niveau de l’horizon contemporain[2] » Pour les réformateurs, il ne s’agit pas de remettre en question les sources (Coran, Sunna) mais de faire appel à la raison humaine et absolue pour lutter contre le conservatisme et une tradition aliénante. L’islam est laïque car il est ouvert au pluralisme et à la coexistence pacifique des idéologies, des cultures et des religions. Le chantier d’E. Macron en tant que chef de l’Etat, devra garantir à tous les cultes dont l’islam, les mêmes applications conformément à la Loi de 1905. Cette initiative prendra du temps, peut-être plus qu’un mandat, mais elle devra surtout reposer sur la volonté ferme de ne pas reproduire les erreurs passées et, plus difficile, de ne pas céder aux pressions de tous bords.

 

 

Fatima Achouri

 

 

 

[1] L’islam et les fondements du pouvoir- A. Abderraziq- Editions La Découverte- 1994

[2] Le problème des idées dans le monde musulman– Editions Albouraq- 2006

Fatima Achouri

Sociologue spécialiste de l’islam contemporain.

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