Dans une France largement déchristianisée, la pratique religieuse reste-t-elle un déterminant important dans le choix des électeurs ? L’étude réalisée par le démographe Hervé Le Bras et le sondeur Jérôme Fourquet montre le paradoxe de la permanence d’une influence catholique, ou du moins de la tradition catholique, sur le vote des électeurs.
« La fréquentation de la messe a constitué un marqueur d’un phénomène plus profond, d’un fait social total qui a façonné l’ensemble de la société. Son ombre portée est encore présente dans de nombreux domaines, de l’éducation aux sensibilités syndicales en passant par les comportements électoraux », soulignent les auteurs.
À l’appui de leur démonstration, ils ont étudié la cartographie électorale de l’élection présidentielle. « La différence entre régions de tradition catholique et régions déchristianisées depuis longtemps se maintient de manière presque imperturbable » constatent-ils, bien que le déclin de la pratique religieuse ait entre-temps considérablement redistribué les cartes politiques.
Depuis 1974, les régions catholiques ont basculé vers la gauche
Jusqu’en 1974, la carte du clivage gauche-droite se superposait grosso modo à celle de la pratique religieuse. Depuis, les régions catholiques, plutôt à droite, ont basculé vers la gauche à mesure que leur engagement religieux faiblissait, alors qu’à l’inverse des régions déchristianisées depuis longtemps glissaient vers la droite.
La comparaison du vote en faveur de François Mitterrand en 1981 et de François Hollande en 2012 illustre ce glissement progressif. A priori, la proximité de leur score au second tour de l’élection présidentielle – 51,8 % contre 51,6 % – pourrait laisser penser à une stabilité du rapport gauche-droite.
Or, elle cache en fait des différences très marquées entre régions. L’écart entre les scores obtenus par les deux candidats socialistes peut atteindre jusqu’à 10 points. Globalement, François Hollande a gagné des voix dans les anciennes régions catholiques du grand Ouest et du Massif central alors qu’il enregistrait des scores en recul dans le Bassin parisien, où la pratique religieuse a résisté, et dans le littoral méditerranéen et la vallée de la Garonne, déchristianisés depuis longtemps.
Les régions où ce phénomène ne se vérifie pas sont celles où le FN a fortement progressé, jouant ainsi les trouble-fête. Dans le Nord Pas-de-Calais, la Somme, l’Alsace et la Lorraine, la baisse de la pratique religieuse s’est soldée non pas par un gain pour le candidat socialiste, mais par une percée du FN dans les milieux populaires traditionnellement acquis à la gauche.
Les facteurs socio-économiques ont pris le dessus
Seules deux zones géographiques échappent à l’une ou l’autre de ces explications : la région Rhône-Alpes et la vallée moyenne de la Garonne. L’effacement de la pratique religieuse y a fait surgir d’autres lignes de force, comme les facteurs socio-économiques qui ont pris le dessus. Mais les auteurs de l’étude démontrent que « l’effacement de la religion ne doit pas être confondu avec celui de la tradition catholique ».
Ainsi le vote pour François Bayrou épouse quasi exactement le contour des régions où la pratique religieuse était autrefois très marquée. « Bien que les églises restent désertes le dimanche, les populations des régions de tradition catholique continuent de se comporter différemment de celles des régions déchristianisées de longue date, parce que le catholicisme a modelé nombre de leurs attitudes et de leurs réactions », explique l’étude.
Plus modérés, proeuropéens, ces électeurs se retrouvent davantage dans le discours du MoDem mais aussi dans celui du PS, alors que le discours de Nicolas Sarkozy qui s’est durci sur la sécurité ou l’immigration fait, selon l’étude, moins d’adeptes.
La Croix