L’assemblée du Désert a rassemblé, dimanche 2 septembre, plusieurs centaines de protestants.
250 ans après la libération de Marie Durand, figure historique du protestantisme français, la place de la femme était au cœur de ce rendez-vous annuel.
Venue dimanche 2 septembre, comme chaque année, à l’Assemblée du désert de Mialet, Caroline Cousinié est pasteure au sein du consistoire de Piémont des Cévennes. Âgée de 39 ans, mère de deux enfants, elle a épousé, sur les bancs de la faculté de théologie, un autre pasteur. « J’avais peur d’être dans son ombre », confie-t-elle. Dans le même consistoire mais en charge de paroisses distinctes, le couple pastoral exerce aujourd’hui avec des sensibilités différentes. « Lui est plus ancré dans des notions politiques, tandis que je suis davantage sensible à la place des individus, à l’humain », témoigne-t-elle. Dans l’Église protestante unie, un pasteur sur trois est une femme. « C’est une fierté, poursuit Caroline Cousinié. Chacun, homme ou femme, doit pouvoir trouver sa place. Il appartient à nous tous de savoir vivre ensemble. »
Une Église qui a su faire bouger les lignes
La place de la femme dans l’Église protestante était au cœur de ce rassemblement annuel, qui commémorait Marie Durand (1711-1776), et d’autres « Femmes du désert ». Deux cent cinquante ans après la libération de cette figure historique du protestantisme luthéro-réformé français, l’acte de résistance de cette femme qui refusa d’abjurer sa foi, malgré 38 années d’emprisonnement dans la tour de Constance d’Aigues-Mortes (Gard), continue d’inspirer. De nombreuses protestantes disent en effet puiser encore une certaine force dans Marie Durand, l’une des rares femmes dont on ait aujourd’hui le témoignage écrit.
« Les protestantes vivent avec leur temps », constate Valérie Duval-Poujol, théologienne baptiste. Pasteures, professeurs de théologie, Présidentes d’union… Ces responsabilités auxquelles elles ont accédé depuis une cinquantaine d’années sont le résultat, selon elle, d’une Église qui a su faire bouger les lignes. « Nous avons la chance d’être liés au texte biblique, et seulement au texte. Cela nous permet sans doute d’avancer plus vite que s’il fallait faire bouger les traditions », estime la théologienne, rappelant que le début du mouvement féministe en France est très protestant, et citant, entre autres, Évelyne Sullerot, fille de pasteur, cofondatrice du mouvement français pour le planning familial.
Au XXIe siècle, être femme protestante n’est pas sans défi. « La génération précédente a revendiqué et gagné des droits. Nous pouvons aller plus loin, souligne encore Valérie Duval-Poujol. L’enjeu actuel est sans doute une prise de décision plus affirmée avec les hommes. Ce qui serait normal, ce serait que l’humanité marche sur ses deux jambes, que les talents des deux genres soient utilisés en complémentarité, en égalité. »
Trois protestantes du XXIe siècle habitées par le « même esprit de justice »
Dans les allées, Anne Heimerdinger, pasteure depuis moins de trois ans dans le consistoire du Vaunage Vistrenque, en charge des paroisses du littoral, salue de nombreuses têtes connues. À 49 ans, divorcée, mère de cinq enfants, elle ne considère pas son entrée « tardive » dans le pastorat comme un rôle. « C’est pour moi le seul moyen de partager ce que j’ai reçu. J’aime être au service. » Au sein du consistoire, elle dit ressentir « une grande liberté » de pouvoir être elle-même.
Si « être libre » est le maître mot de son engagement, la résistance, devise de Marie Durand, l’est également. Mais pour elle, résister ne doit pas se restreindre à des grands actes brandis comme des symboles. « Aller à la rencontre de l’autre est, en soit, déjà, une forme de résistance : le découvrir tel qu’il est en faisant fi des cases dans lesquels la société essaie de l’enfermer. Il y a encore trop de stéréotypes dans notre société. Je pense notamment aux exclus, aux migrants, aux homosexuels… Rester libre face à un discours ambiant demande une forme d’audace. »
Cette audace, cette capacité d’oser est également la clé de la place des femmes dans l’Église protestante, affirme Valérie Duval-Poujol. En guise d’inspiration plus contemporaine, dans le sillage de Marie Durand, elle cite trois protestantes du XXIe siècle, « aux combats différents, mais habitées par le même esprit de justice » : le docteur Irène Frachon, lanceuse d’alerte contre le Mediator, Geneviève Jacques, présidente de la Cimade jusqu’à cet été, et la luthérienne Leymah Gbowee, au Liberia, prix Nobel de la Paix 2011.
_____________________________
« La résistance de Marie Durand a forgé l’identité du protestantisme »
Inès Kirschleger, maître de conférence en littérature française à l’université de Toulon, spécialiste de la spiritualité réformée à l’âge classique (17e et 18e siècle).
« Marie Durand a voulu résister à l’abjuration jusqu’au bout, et éventuellement jusqu’à la mort. Cette résistance s’est manifestée par une grande constance dans la façon dont elle a supporté sa captivité. Elle a pris un rôle au sein des prisonnières en devenant la porte-parole car elle était éduquée, elle savait lire et écrire. Elle est devenue une légende et a été très fortement idéalisée. Son courage, malgré son jeune âge et son inexpérience, lui a permis de porter haut et fort une voix d’opposition face à une autorité politique. Les témoignages, dans l’Histoire, comme celui de Marie Durand sont rares. Seule une dizaine, sur la période, existent, notamment celui écrit, juste après la révocation de l’édit de Nantes, par Blanche Gamond, exilée, arrêtée, incarcérée dans des conditions extrêmes. Ces textes sont souvent très énergiques dans la manière d’exprimer la résistance. »
La Croix