L’Arabie saoudite tente de marginaliser le Qatar

L’Arabie saoudite a exigé mardi du Qatar qu’il change de politique afin d’apaiser la querelle diplomatique qui met aux prises l’immense royaume et le minuscule émirat du Golfe. Riyad et Doha, déjà en délicatesse depuis le déclenchement des révoltes arabes, sont à couteaux tirés depuis plusieurs semaines. Au début du mois, l’Arabie saoudite et deux de ses alliés – les Émirats arabes unis et le Bahreïn – ont tous trois rappelé leur ambassadeur en poste à Doha. Une démarche sans précédent dans l’histoire du Conseil de coopération du Golfe (CCG) – une union (surtout) sécuritaire des six monarchies du Golfe – pour dénoncer la politique du Qatar, accusé d’ingérence dans leurs affaires et de déstabilisation régionale, en raison de son soutien à la mouvance islamiste.

Le royaume wahhabite, chef de file traditionnel des monarchies du Golfe, entend aujourd’hui isoler le petit émirat dont le prosélytisme politique, en faveur des Frères musulmans, avait favorisé l’avènement au pouvoir des islamistes après les révoltes arabes. Cette politique avait mis le Qatar en lumière et contribué à éclipser le géant saoudien, volontairement resté en retrait des mouvements de contestation et des changements apparus à la faveur des « printemps arabes ».

Cette montée en puissance du Qatar par son soutien aux forces contestataires avait provoqué, dans une sorte de prolongement métonymique, un renversement d’hégémonie au sein même du (CCG) au détriment du royaume saoudien.

Criminaliser et isoler

« L’Arabie saoudite est obsédée par cette prétention des Frères musulmans à incarner une alternative à l’islam d’obédience saoudienne », souligne le chercheur Nabil Ennasri, spécialiste du Qatar. « Le régime saoudien a toujours souhaité détenir ou représenter l’image officielle de l’islam, sa tendance la plus orthodoxe. Elle a la prétention d’en détenir le monopole légitime au sein de l’espace arabe. Or, la seule organisation qui est capable, tant idéologiquement que structurellement voire politiquement, de lui tenir la dragée haute est l’organisation des Frères musulmans ».

L’initiative saoudienne visant à la criminalisation des Frères musulmans et à l’isolement diplomatique de leur principal bailleur de fonds est une manière de porter le coup de grâce à des révoltes arabes, une source d’instabilité insupportable pour la monarchie absolue des Saoud.

Depuis le début des révoltes, l’Arabie saoudite a « une peur bleue que cet épisode de contestation déborde » à l’intérieur de ses frontières. Surtout qu’elle a elle-même été confrontée à « une dynamique d’opposition ». « Elle a donc tout fait pour délégitimer et discriminer ces mouvements de révolte populaire. Elle a aussi dépensé des centaines de milliards de dollars pour contenter la population à partir d’aides sociales massives afin de résorber un début de mécontentement qui commençait à s’exprimer dans la région est et dans certaines zones paupérisées du royaume », explique Nabil Ennasri.

Le feu aux poudres

Le cas égyptien a mis le feu aux poudres. La veille du rappel des ambassadeurs saoudien, émirati et bahreïnien, l’Egypte décidait d’interdire le Hamas palestinien d’agir sur son territoire. Le lendemain, Riyad portait les Frères musulmans sur sa liste des organisations terroristes. « En l’espace de trois jours, cela fait trois décisions radicales adoptées sous l’égide de l’Arabie saoudite et qui sont destinées à banaliser voire à éradiquer pratiquement les Frères musulmans du jeu politique régional », explique le chercheur. L’Egypte, dont la reprise en main militaire du pays a reçu la bénédiction de Riyad, avait elle-même porté la confrérie sur sa liste des organisations terroristes à la fin de l’année dernière.

 

Observatoire des Religions et de la Laïcité

Fatima Achouri

Sociologue spécialiste de l’islam contemporain.

Nos services s'adressent aux organisations publiques ( Loi de 1905) et aux organisations privées.

Articles recommandés