Depuis novembre 2013, le Maroc accueille de jeunes imams maliens pour un cycle de formation poussée. Une expérience qui devrait s’étendre à d’autres voisins du Sud.
Prières devant la Grande mosquée de Bamako, le jour de la fête de l’Aïd.
Le 14 mai, au moment où les adeptes de la confrérie tidjane se réunissaient à Fès, où repose leur maître, Sidi Ahmed Tidjani, pour leurs troisièmes assises, Mohammed VI a tenu à marquer l’événement en adressant un message aux participants. Soulignant les liens ancestraux entre la monarchie marocaine et les confréries soufies, il a également rappelé les initiatives prises récemment à destination de nombreux pays africains et arabes dans les domaines de la coopération et de la formation religieuse. Et le 12 mai, le roi a donné le coup d’envoi des travaux d’un institut Mohammed-VI de formation des imams, morchidine et morchidate (« prédicateurs » et « prédicatrices »), pour un coût évalué à 140 millions de dirhams (plus de 12 millions d’euros). Couvrant 3 hectares, il abritera salles de cours et de conférence, locaux administratifs, mais aussi des logements et des services de restauration pour les étudiants étrangers, appelés à être de plus en plus nombreux dans les prochaines années.
Depuis novembre 2013, le royaume accueille des imams maliens, à la demande du président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). Étalée sur deux ans et quatre semestres successifs, leur formation inclut un volet d’études strictement islamiques : Coran, hadith, sîra (biographie du Prophète), fiqh (jurisprudence islamique), école malékite (l’une des quatre écoles de l’islam sunnite, la plus répandue en Afrique, du Maroc au Soudan, en passant par la Guinée et le Nigeria). À côté de cet enseignement théologique classique, la formation comprend aussi ce qu’Abdellatif Begdouri Achkari nomme « la boîte à outils » : cours de langues arabe et française, informatique et techniques de communication. Lui-même imam et enseignant (soufisme et principes de la foi), il est surtout, en tant que chef du cabinet du ministre des Affaires islamiques, Ahmed Toufiq, l’une des chevilles ouvrières du programme de formation des imams étrangers.
« Les confréries soufies sont le ciment de nos relations »
C’est lui qui a accueilli, à l’automne 2013, les premiers groupes d’étudiants maliens, après avoir assisté à leurs entretiens de sélection au Mali. Achkari tient à préciser que « les pays qui ont noué un partenariat avec [son] ministère, ou qui sont en train de le faire, sont libres de choisir leurs candidats, selon leurs critères ». Les Maliens sont âgés de 25 à 45 ans, il s’agit pour la plupart d’imams débutants, venant de toutes les régions du Mali. Les responsables maliens veulent en faire les ambassadeurs d’un islam tolérant, ouvert et « authentiquement malien ». L’accord conclu entre Bamako et Rabat prévoit de former 500 imams en six ans. « Le Mali est une République laïque et aucun cursus universitaire ou de formation professionnelle n’existe pour les imams », constate Achkari. Il y a bien des associations, des madrasas et des mosquées qui transmettent le savoir religieux, mais rien n’est institutionnalisé. « Heureusement, les confréries soufies assurent un maillage important au Mali comme dans de nombreux pays d’Afrique de l’Ouest. Elles sont même le ciment de nos relations avec ces pays, et ce depuis longtemps. »
Mi-avril, c’était le secrétaire général des affaires religieuses guinéen, El Hadj Abdoulaye Diassy, qui rendait visite au ministère des Affaires islamiques et des Habous.
Signe de l’importance prise par la question religieuse, le président IBK a rencontré les 106 étudiants de son pays actuellement à Rabat lors de sa dernière visite au Maroc, fin avril. « Il les a exhortés à travailler dur, afin que le programme soit une réussite, leur demandant d’agir comme des ambassadeurs de leur pays », confie une source. Le précédent malien est amené à être généralisé avec d’autres pays proches du Maroc. Mi-avril, c’était le secrétaire général des affaires religieuses guinéen, El Hadj Abdoulaye Diassy, qui rendait visite au ministère des Affaires islamiques et des Habous. Au menu des discussions, la formation d’imams guinéens, qui deviendraient à leur tour des formateurs. La Guinée est aussi intéressée par la mise en place de Waqf, l’institution qui gère en droit islamique les biens de mainmorte, en capitalisant sur l’expérience marocaine. Rabat donne actuellement suite à une autre demande émanant du Conseil supérieur des imams de Côte d’Ivoire pour la formation d’imams et de prédicateurs. La même requête a été formulée au Gabon, un pays où vit une petite minorité de musulmans.
Une affaire d’image internationale
Mohammed VI, qui a visité ces quatre pays en février et mars, a fait de la coopération religieuse un axe majeur de sa diplomatie, insistant sur l’héritage commun entre le Maroc et l’islam africain : « Nous partageons tout avec l’islam d’Afrique de l’Ouest : l’école malékite, le rite achâarite, le référentiel soufi », observe Abdellatif Begdouri Achkari, tidjane et fin connaisseur de l’histoire du soufisme. Pour le Maroc, cette coopération religieuse est donc aussi une affaire d’image internationale. Engagés sur plusieurs fronts dans la lutte contre l’islamisme radical, parfois désarmés face à un terrorisme dont ils peinent à contrer les soubassements idéologiques, les pays occidentaux sont sensibles aux liens historiques, cultuels et confrériques qu’entretient le royaume avec ses voisins du Sud. Cet argument porte même au-delà de l’Atlantique. Lors de leur entretien à la Maison Blanche, Barack Obama a « apprécié » le leadership religieux de Mohammed VI, soulignant le besoin « d’oeuvrer en commun à contrer les risques extrémistes ».