L’islam de France est au bord de l’implosion

La difficulté d’élire un nouveau président du Conseil français du culte musulman révèle la profondeur des divisions qui déchirent la religion.

Ingouvernable. L’islam de France ne parvient pas à désigner le nouveau président du Conseil français du culte musulman (CFCM). L’élection, prévue ce dimanche, devait couronner, presque jour pour jour, le 10e anniversaire de cette institution. Mais les querelles internes sapent une nouvelle fois ce jeune édifice voulu par Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’Intérieur. Il visait à donner à la seconde religion de France une représentativité éloignée des extrêmes et des influences étrangères.

Les membres du conseil d’administration qui doivent se réunir dimanche sont issus d’un premier tour d’élections régionales qui s’est déroulé le 8 juin dernier. Ils vont très probablement voter un… report de l’élection du nouveau président en remplacement de Mohammed Moussaoui, non rééligible. Ce modéré, d’origine marocaine, pourrait même rester provisoirement à la tête de l’instance jusqu’à la rentrée dans l’attente d’un climat plus serein.

Sauf coup de théâtre, les délégués de l’islam de France, réunis à Paris pour le sommet le plus important de cette instance, ne seront donc pas en mesure de choisir un homme et une équipe parce qu’ils sont bloqués par des considérations d’origines nationales. En clair, la perpétuelle querelle entre Algériens et Marocains…

Même si l’affaire était prévisible -depuis la naissance du concept du CFCM, avec Jean-Pierre Chevènement en 1999, l’origine nationale des musulmans vivants en France n’a cessé d’empoisonner leurs relations-, c’est un échec cuisant car c’est justement pour exorciser ce démon de la division que la récente réforme du CFCM avait été pensée.

La réforme du CFCM avait imaginé, pour ménager les susceptibilités, une présidence tournante. Parfaite sur le papier, elle s’est grippée.

Elle avait justement imaginé, pour ménager les susceptibilités, une présidence tournante. Un roulement de présidents entre les quatre grandes fédérations, par période de 18 mois, pour couvrir les six années de mandat. Puisque le Rassemblement des musulmans de France (RMF), d’obédience marocaine, venait d’occuper à deux reprises la présidence, ce devait être le tour de la Grande Mosquée de Paris (GMP), une fédération d’obédience algérienne. Puis l’UOIF, l’Union des organisations islamiques de France (fondée en 1983 dans la mouvance des Frères musulmans, aujourd’hui au pouvoir en Égypte, mais non rattachée à un pays en particulier). Puis, le RMF et, enfin, la présidence du CCMTF, la quatrième fédération, d’obédience turque.

Parfaite sur le papier et votée à une grande majorité par toutes les fédérations en février, cette réforme qui comportait aussi des modifications du mode de scrutin pour tenter de corriger les effets pervers d’un système de sièges fondé sur les surfaces métriques des mosquées (ce qui avantage les mosquées «marocaines», construites plus récemment, au détriment des mosquées «algériennes», plus anciennes) s’est brutalement grippée.

La première panne est venue de l’UOIF. Cette puissante fédération, qui avaient déjà boycotté les élections de 2011 mais était revenue dans le processus de réforme cette année, a subitement décidé, l’avant-veille des élections régionales, le 8 juin, de ne pas participer aux élections. Deux motifs ont été invoqués. Le premier, officiel, et assez technique, touche la composition des listes régionales. L’UOIF voulait voir des listes «uniques» avec des représentants de toutes les fédérations. Le second, officieux, est «l’humiliation» ressentie par cette fédération qui normalement aurait pu prétendre prendre la première présidence du CFCM dimanche pour 18 mois, selon les règles de la tournante. Mais cela lui a été refusé par le RMF et la Grande Mosquée de Paris.

La guerre d’influence entre Algériens et Marocains empoisonne toujours le CFCM.

La seconde panne est venue de ces deux dernières fédérations. Dalil Boubakeur, le célèbre recteur de la Mosquée de Paris, était pressenti pour revenir à la présidence du CFCM. Mais il a finalement refusé, proposant Me Chems-eddine Hafiz. Problème, toutefois: ce dernier, avocat, vient de défendre le Polisario dans un procès à Bruxelles. Ce qui indispose de façon rédhibitoire les Marocains en raison de la question du Sahara, pomme de discorde entre l’Algérie et le Maroc…

Troisième panne, l’annonce cette semaine par les recteurs des mosquées de Lyon et de Saint-Étienne, de la création d’une sorte de CFCM parallèle. Ils estiment que la réforme du CFCM a oublié les mosquées indépendantes au profit des grandes fédérations!

Quatrième panne, et pas la moindre, les fédérations musulmanes constatent la «non-implication» du ministère de l’Intérieur dans les difficultés du CFCM. Un expert commente: «Manuel Valls ne s’intéresse pas au CFCM, il ne perçoit l’islam que sous l’angle sécuritaire.»

 

Source : Le Figaro.fr

 

 

 

 

F. Achouri

Sociologue.

Nos services s'adressent notamment aux organisations publiques et privées désireuses de mieux comprendre leur environnement.

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