Que répondre à un jeune couple islamo-chrétien désireux que soit lu un passage du Coran lors de la célébration de son mariage ? Quel sens donner à la participation d’élèves musulmans à une célébration organisée par l’établissement catholique qui les accueille ? Et comment comprendre qu’en Syrie les Églises locales rejettent l’hypothèse d’une intervention occidentale, pourtant ardemment défendue par d’autres instances ?
« Dans un pays où la deuxième religion est l’islam, ces questions se posent au quotidien à tous les catholiques, et particulièrement à ceux qui s’investissent dans la pastorale », indique le P. Christophe Roucou, directeur du Service des relations avec l’islam (SRI) de la Conférence des évêques de France, qui fête demain son 40e anniversaire au cours d’une journée de réflexion présidée par le cardinal Jean-Louis Tauran, président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux.
La petite équipe du SRI ne compte plus les demandes que lui adressent l’enseignement catholique, la pastorale des jeunes, les services du catéchuménat – 120 personnes environ venant de l’islam reçoivent le baptême chaque année –, les responsables de l’aumônerie pénitentiaire, hospitalière, mais aussi des paroisses de quartiers populaires, voire des diocèses pour l’ensemble de leurs laïcs en mission ecclésiale…
Besoin de former solidement à l’islamologie
« Je n’arrive pas à répondre aux neuf dixièmes de celles que je reçois », soupire de son côté le P. Henri de La Hougue, directeur de l’Institut supérieur de théologie des religions à l’Institut catholique de Paris. Il regrette que le diplôme universitaire Pastorale du dialogue islamo-chrétien (1) qu’il dirige ne séduise guère plus de six ou sept étudiants chaque année…
Plus légère, la session annuelle du SRI offre, quant à elle, à une quarantaine de prêtres, laïcs, religieux et religieuses des enseignements de base sur l’islam et les fondements théologiques du dialogue islamo-chrétien. « La formation des séminaristes est également un enjeu important », rappelle le P. Roucou.
Au-delà, c’est sur le besoin de former solidement à l’islamologie – en les envoyant à Rome au Pisai – de nouveaux théologiens que Mgr Michel Dubost, évêque d’Évry et président du Conseil pour les relations interreligieuses, a interpellé l’an dernier ses confrères évêques, lors de l’Assemblée plénière d’automne à Lourdes… « Des hommes de Dieu – prêtres ou laïcs – capables de trouver les chemins d’un dialogue intellectuel et spirituel avec les plus grands penseurs du monde musulman », résume-t-il.
« Porter un regard en profondeur sur les événements »
Capables aussi de « répondre aux questions qui peuvent être sources de conflit », appuie le P. de La Hougue, citant l’exemple de la Trinité chrétienne, si difficile à comprendre par un musulman attaché à l’unicité de Dieu.
Pour le jeune dominicain Emmanuel Pisani, qui a décidé d’étudier l’islam après le 11 septembre 2001 et qui aujourd’hui enseigne à la Catho de Paris et multiplie les conférences dans les paroisses, l’enjeu est de « porter un regard en profondeur sur les événements, y compris les conflits au Moyen-Orient, au-delà de l’émotion. Mais aussi, par notre connaissance de leur religion, de stimuler la réflexion des musulmans et leur désir de connaître le christianisme. »
Pour toutes ces tâches, ils ne sont pas plus d’une dizaine, prêtres, religieux et religieuses, laïcs. Les décès des P. Roger Michel, rédemptoriste spécialiste de l’islam africain, puis du P. Étienne Renaud, père blanc revenu à Marseille après quarante-sept ans de vie missionnaire en Syrie, en Tunisie ou au Yémen, ont donc aiguisé un peu plus la question de leur relève.
« Il faut dix ans pour former quelqu’un »
Une question qui bute toujours sur de solides obstacles : si certains évêques sont partagés sur la nécessité même du dialogue islamo-chrétien, plus nombreux encore sont ceux qui redoutent, « en laissant partir un prêtre se former à Rome, qu’il soit “perdu” pour la pastorale dans leur diocèse », reconnaît le P. Roucou.
Quant aux laïcs, ils savent la difficulté pour eux, une fois formés, de trouver un poste rémunéré… « Dans un diocèse, il est rare que le responsable des relations avec l’islam, un poste qui n’est pas d’emblée perçu comme une urgence pastorale, soit salarié », relève ainsi Bénédicte du Chaffaut, ancienne directrice du centre théologique de Meylan (Isère) et enseignante en islamologie. Il y a urgence, juge toutefois le P. de La Hougue, rappelant que « si tout se passe bien, il faut dix ans pour former quelqu’un ».
Source : La Croix