En un an, l’incroyable popularité du pape François, nourrie par des paroles et des gestes marquants, ne s’est pas démentie.
Même si sa manière d’incarner la papauté peut dérouter certains milieux catholiques, elle séduit largement, notamment ceux qui avaient pris leurs distances avec l’institution, ainsi que les représentants d’autres confessions et religions.
Voilà des années que Marie, 33 ans, s’était éloignée de l’Église. Depuis son divorce, il y a sept ans, cette mère de deux enfants, cadre dans le secteur associatif, élevée dans une « famille nombreuse très traditionnelle », avait cessé de fréquenter les messes de la paroisse où elle se rendait très régulièrement. « Je ne me sentais plus du tout à ma place. Traitée comme une brebis galeuse, j’ai coupé les ponts du jour au lendemain. Pour moi, l’Église était une vieille histoire : je ne voulais plus en entendre parler. » Il y a quelques mois, cette porte qu’elle pensait définitivement close a commencé à se rouvrir.
Le déclic ? L’élection du cardinal Jorge Mario Bergoglio sur le Siège de Pierre, le 13 mars 2013. « Son discours laisse transparaître que nous, divorcés, sommes des chrétiens comme les autres, et non des individus contagieux. Il insiste sur la richesse des personnes avant de voir leur faute. »
Au fil des mois, la jeune femme a suivi la réforme de la Curie avec intérêt, s’est plongée dans l’exhortation apostolique Evangelii gaudium (« ce qui ne m’était pas arrivé depuis longtemps ! »), et a lu l’intervention du cardinal Kasper sur les divorcés remariés. « En examinant ces propositions sur les divorcés, je me suis dit : “Et si la porte t’était ouverte, serais-tu prête à revenir ?” »
L’« effet François » prend surtout la forme d’un mouvement de sympathie
Sous l’effet de ce nouveau pape, dont la popularité ne s’est pas démentie malgré l’exercice du pouvoir, ces catholiques aux « marges de l’Église » sont nombreux à prêter une oreille plus attentive à l’actualité vaticane et aux réformes qui s’y préparent. Pêle-mêle, ils évoquent, heureusement surpris, le style de François, ainsi que certains gestes ou paroles plus précis et ultra-médiatisés, qui les ont séduits.
« Son message est simple : merci, pardon, s’il te plaît, ne jamais nous quitter fâchés… Il remet les valeurs au centre de notre vie », s’enthousiasme Christian, 47 ans, directeur technique d’une société de produits bio. Avec sa future femme, Aude, il a répondu mi-février à l’invitation lancée par le pape aux fiancés pour la Saint-Valentin. Aujourd’hui, ce catholique « un peu égaré », et qui ne trouvait pas dans l’Église les réponses à ses questionnements, participe chaque dimanche à la messe « avec joie »
Mais le retour aux sacrements de la part de ces deux futurs mariés semble tenir de l’exception plutôt que du phénomène massif. « On sent un regain d’attention, mais les messes ne sont pas pour autant plus fréquentées », résume le P. Julien Dupont, prêtre à Poitiers. Il évoque un « effet François », prenant surtout la forme d’un mouvement de sympathie, perceptible dans la société tout entière. Si en Irlande, en Italie ou aux États-Unis, certaines enquêtes ont bien illustré une augmentation de la fréquentation des offices, aucun chiffre n’existe en France. De fait, les prêtres interrogés livrent peu ou prou la même analyse que le P. Dupont, teintée de prudence.
« J’avais l’image d’une Église renfermée sur elle-même. François est en train de la changer »
« Le nouveau pape touche d’abord une opinion catholique, analyse le P. Nicolas de Bremond d’Ars, sociologue et chercheur associé au Centre d’études interdisciplinaires des faits religieux, rattaché au CNRS. Il s’agit des 66 % de catholiques non pratiquants de notre pays. » Selon ce jésuite, beaucoup parmi eux seront attentifs aux évolutions concrètes qui suivront peut-être le Synode sur la famille, prévu à l’automne prochain. « La question des divorcés remariés sera décisive », pointe-t-il.
D’autant que le thème de la miséricorde revient souvent dans la bouche de ces « catholiques du troisième cercle », soucieux également d’entraide et de solidarité. Ingénieure à Paris, Emmanuelle, 25 ans, mentionne notamment les déclarations de François sur la primauté de la charité sur la morale, ou encore cette papamobile dont les vitres blindées ont été ôtées pour permettre à l’évêque de Rome un contact plus direct avec la foule.
Elle qui a, dans son enfance, « baigné dans la culture catho » sans pour autant se sentir proche de l’Église, fustigeait jusqu’alors « la place laissée aux femmes au sein de l’institution » et « l’intolérance en ce qui concerne la sexualité ». Sans abandonner ses critiques, elle concède : « J’avais l’image d’une Église renfermée sur elle-même. François est en train de la changer. »
« J’ai envie de savoir ce qui se cache derrière ce personnage »
Elle songe désormais à s’engager sur le terrain de l’action sociale – « Une réflexion que je n’aurais jamais eue il y a deux ans. » Autre conséquence inattendue, cette visite à la paroisse de son quartier lorsqu’elle a appris, il y a quelques jours, l’accident vasculaire cérébral qui a frappé son grand-père. « Il n’est pas impossible que je revienne à l’église régulièrement. Mais c’est encore loin… »
« La pratique religieuse n’a rien à voir avec le pape. Cela dépend d’une paroisse, d’un prêtre particulier, d’une communauté », estime Anna, 50 ans. Cette traductrice, mère de deux enfants, ne va « pratiquement jamais à l’église », mais apprécie la tendance du successeur de Benoît XVI à « moins parler des dogmes ».
« Je ne l’ai pas particulièrement lu ou écouté, mais c’est une impression plus générale », précise-t-elle. Elle se dit surtout intriguée par la personnalité de François. « Si jamais j’avais l’occasion d’assister à l’une de ses messes, j’irais voir. J’ai envie de savoir ce qui se cache derrière ce personnage. » Pour Anna comme pour les autres, l’« effet François » existe bien, mais ira-t-il plus loin que la curiosité bienveillante ? « Il faut sans doute, répond le P. Loïc Bournay, aumônier d’étudiants à Nancy, davantage de temps qu’une année pour pouvoir mesurer un tel impact. »
La Croix