En Terre sainte, le pèlerinage « strictement religieux » du pape

Le pape commence samedi 24 mai un voyage de trois jours en Jordanie, dans les territoires palestiniens et en Israël.

 

Plus qu’un voyage, un pèlerinage. La visite en Terre sainte qu’effectue à partir de samedi 24 mai le pape François affiche, en premier plan, un caractère « strictement religieux », selon ses propres termes. Ce « sera un pèlerinage de prière », avait-il déjà affirmé en annonçant officiellement, le 5 janvier, le second déplacement à l’étranger de son pontificat, dont « l’objectif principal est de commémorer la rencontre historique entre le pape Paul VI et le patriarche Athénagoras, qui a eu lieu (…) il y a cinquante ans ». Stade d’Amman, durant les préparatif au voyage du pape François, le 22 mai22, 2014

Le premier défi du pape François sera de s’en tenir à ce cadre religieux dans une région qui le guette sur un terrain politique glissant. La commémoration, le logo du voyage – saints Pierre et André dans une même barque – et sa devise, tirée de l’Évangile – « Qu’ils soient un » –, tout concourt à garder ce fil conducteur, tout au long des trois jours d’un voyage au pas de course. La rencontre œcuménique du pape avec le patriarche de Constantinople, Bartholomeos Ier , au Saint-Sépulcre, dimanche soir, est ainsi présentée comme le temps fort de cette visite. Avec une « accolade de paix » entre représentants des Églises chrétiennes, voulue par le Vatican comme l’image à retenir.

Au-delà de la puissance du symbole, l’objectif est de donner un nouvel élan œcuménique. Notamment, à l’approche d’une haute rencontre théologique orthodoxe-catholique le 15 septembre prochain en Serbie sur l’articulation délicate entre primauté de Rome et conciliarité.

Le passage du pape en Terre sainte est destiné aussi à stimuler le dialogue interreligieux. En incluant dans sa délégation un rabbin – Abraham Skorka – et un professeur musulman – Omar Abboud –, amis argentins de Jorge Bergoglio, ce dernier met en scène cet équilibre, de manière personnelle et inédite dans un voyage pontifical. « Il ne vient pas avec un juif et un musulman de Terre sainte mais de l’autre bout du monde, observe Marco Impagliazzo, président de la Communauté de Sant’Egidio. Il montre ainsi que les religions sont universelles et non liées à des territoires. »« Par l’affirmation religieuse du voyage, il se protège aussi des polémiques politiques », ajoute-t-il.

Déceptions, tensions et risque sécuritaire

Même pour un voyage uniquement « religieux », l’équilibre reste toutefois un défi politique. Le programme réparti sur trois pays et territoires – Jordanie, Territoires palestiniens, Israël – tente de ménager diplomatiquement les susceptibilités de chacun. Il prévoit autant un échange avec des réfugiés palestiniens qu’un arrêt sans précédent sur la tombe de Theodor Herzl, fondateur du sionisme. « Le programme mécontente au final tout le monde », commente une source diplomatique à Jérusalem, citant la déception des chrétiens de Galilée, que le pape ne rencontrera pas.

Dans ce casse-tête géopolitique, l’Église catholique n’a toutefois pas oublié ses préoccupations. En célébrant lundi une messe au Cénacle, comme le fit Jean-Paul II, le pape revendiquera, non pas la propriété du lieu où se manifesta notamment la Pentecôte, mais une « facilité d’accès » pour les chrétiens, comme le distingue une source diplomatique vaticane. Aucune finalisation de l’accord entre Israël et le Saint-Siège sur les Lieux saints n’est toutefois prévue à l’issue du voyage.

La récente vague de vandalisme contre des lieux chrétiens a rappelé la tension suscitée par cette question, montrant que le premier risque du voyage est sécuritaire. D’autant que François, à sa demande, effectuera deux bains de foule, à Amman et à Bethléem, en jeep découverte. Jérusalem, en revanche, quadrillée de 8 000 policiers, s’annonce sans contact direct avec la population.

Devant les mesures drastiques de sécurité israéliennes, « il y a un risque de frustration des chrétiens de Terre sainte », prévient une source diplomatique sur place, selon qui le risque plus fort encore du voyage est le « décalage » entre sa priorité œcuménique et « celle des chrétiens d’ici qui cherchent avant tout la survie ».

Le pape ne fera « pas de politique »

L’autre risque, non des moindres, est l’instrumentalisation du pape. « Par sa position et sa puissance morale, il pourrait avoir un mot à notre égard », espère un négociateur palestinien actif aux récents pourparlers de paix avec Israël. Des Cisjordaniens voudraient que le président palestinien remette au pape une croix faite de morceaux de ciment de la barrière de sécurité d’Israël. L’État hébreu, lui, a intérêt par ce voyage à redorer sa réputation auprès des chrétiens perçus en alliés face aux musulmans.

Le Vatican, pour sa part, répète que le pape ne fera « pas de politique ». « La brièveté du séjour ne lui laisse pas le temps pour de longs développements », justifie un diplomate préparant le voyage. Le pape a déclaré mercredi que son déplacement donnerait surtout l’occasion de « prier pour la paix dans cette terre qui souffre tant ».

Même s’il y pose pied pour la première fois, le pape argentin ne vient pas sans atouts propres. « En tant que non-Européen, il n’est pas associé par la plupart des Juifs avec l’antisémitisme et l’Holocauste, tandis que la plupart des musulmans ne le lient pas aux croisades », estime le vaticaniste américain John Allen.

Autre atout personnel, son aura mondiale et médiatique intacte, ses dons remarqués de communicant. Autant de dispositions favorables à la réussite d’un voyage dont la brièveté et la densité – 14 interventions au total – appellent une symbolique efficace.

 

La Croix

F. Achouri

Sociologue.

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