Un tract de cinq pages, d’émanation saoudienne, est distribué dans les mosquées de France pour rappeler « la position islamique authentique » vis-à-vis de Daesh et Al-Qaida.
La brochure s’ouvre par une citation du grand mufti d’Arabie saoudite, Abd Al Aziz Al-Sheikh : « Le terrorisme de Daesh et d’Al-Qaida est l’ennemi numéro un de l’islam. » Et se poursuit par une réfutation en règle du djihadisme, citations du Coran et de hadith (propos prêtés au prophète de l’islam) à l’appui. Publiée sur son site Internet par l’association Din Al-Haqq – « la religion de la vérité », qui se présente comme « dédiée à la prédication islamique, (…) basée sur les principes du Coran et de la Sunna selon la compréhension des pieux prédécesseurs » – la brochure intitulée « Mise en garde contre les groupes terroristes de Daesh et Al-Qaida et la position islamique authentique à adopter à leur égard » est actuellement distribuée dans les mosquées de France.
Dissensions au sein de l’islam salafiste entre « quiétistes »et « djihadistes »
Elle témoigne de la crainte qu’inspire l’État islamique au monde musulman, mais aussi de la violence des dissensions au sein de l’islam salafiste entre « quiétistes » et « djihadistes ». En effet, s’ils partagent un même fonds commun – imitation du prophète et de ses premiers compagnons et rejet de tout l’héritage musulman depuis la fin du IXe siècle – ces deux courants se combattent violemment, pour des raisons mêlant idéologie et géopolitique. Comme le rappelle le sociologue Samir Amghar (1), le salafisme quiétiste – soutenu par l’Arabie saoudite – récuse « tout engagement au nom de l’islam autre que religieux », notamment « la politique, cause de fitna (division) et de hizbiyya (logique partisane, factionnalisme) qui menacent l’unité de l’oumma (communauté musulmane) ». Mais la soudaine mobilisation de l’Arabie saoudite contre l’État islamique s’explique également par la menace que représente ce dernier pour la monarchie wahhabite : plus d’un millier de ses ressortissants ont rejoint les rangs de Daesh, situés à 200 kilomètres tout au plus du royaume…
Une argumentation imprégnée des thèses salafistes
Citant le « directeur du pôle de la croyance à l’université islamique de Médine », Salih As-Souhaymy, le petit fascicule n’hésite donc pas à assimiler les djihadistes actuels aux « kharidjites » des premiers siècles de l’islam, des « hérétiques, égarés » dont le prophète Mohammed aurait dit : « Où que vous les trouviez, tuez-les »… Une argumentation, imprégnée des thèses salafistes, bien éloignée de celle des responsables musulmans de France qui ont eux aussi condamné, depuis l’été, les exactions de Daesh, qu’il s’agisse de la Grande mosquée de Lyon dès le 19 août, de l’« Appel de Paris » du 9 septembre, ou encore du texte « Engageons-nous » rédigé par des responsables religieux lyonnais. « Cette brochure prétend lutter contre la violence mais elle utilise la violence », s’étonne ainsi Farid Darrouf, imam à Montpellier, qui ne cesse de « sensibiliser » ses fidèles à l’incompatibilité entre salafisme et « valeurs républicaines ». « La religion, ce n’est pas ça. Cette vision de l’islam qui consiste à se considérer sur le droit chemin et à accuser les autres d’être égarés me fait peur ».
La Croix