Aujourd’hui, la situation des chrétiens d’Orient est catastrophique en Syrie ou en Irak, fragile en Terre sainte, relativement préservée en Égypte ou au Liban.
Comment la situation politique de ces pays va-t-elle évoluer ? L’émigration va-t-elle se poursuivre ? Les experts en sont réduits à des hypothèses.
► Hypothèse 1 : Les conflits perdurent, l’émigration aussi
« Des turbulences extrêmes, comme les chrétiens d’Orient n’en ont jamais connu même sous l’Empire ottoman. » C’est par ces termes que Joseph Maïla, ancien directeur de la prospective au ministère des affaires étrangères français, décrit la situation actuelle.
À ses yeux, l’« ébullition » des sociétés orientales dans leur ensemble s’explique par deux raisons majeures : l’effondrement de l’État, consécutif aux « printemps arabes », et la radicalisation islamiste.
En raison de la faillite de l’État-nation, les minorités sont en effet « encore plus livrées à elles-mêmes, encore plus marginalisées », voire victimes de persécutions religieuses.
« Dans un contexte d’islamisation, le chrétien étouffe et, même sans persécution, il part… », explique Antoine Fleyfel, maître de conférences à l’Université catholique de Lille.
Le risque est réel que, « dans deux ou trois générations », les chrétiens exilés « oublient leurs racines orientales », fait valoir Joseph Maïla. À l’inverse, ils pourraient aussi fournir, depuis l’étranger, « un formidable réseau d’aide et de solidarité, voire de lobbying politique ».
Pour l’historien Bernard Heyberger, cette émigration pourrait également faire évoluer la présence chrétienne au Moyen-Orient, la faire passer d’un christianisme d’identité à un christianisme plus « optionnel ».
« On entend parler de conversions au christianisme en Iran ; on voit aussi des Églises syriaques renaître grâce à l’apport de fidèles locaux en Indonésie ou en Arabie saoudite,par l’accueil de Philippins… Bien sûr, ils ne remplaceront pas ceux qui sont partis mais eux aussi pourront dire qu’ils sont des chrétiens d’Orient… »
► Hypothèse 2 : Les conflits s’étendent, les chrétiens disparaissent
Le scénario d’un Moyen-Orient à feu et à sang pour encore quelques années n’est pas à exclure. « Le pire du pire serait une quasi-disparition des chrétiens en Irak, réduits à quelques vestiges comme en Iran ou en Turquie », reconnaît Antoine Fleyfel.
Le pays, qui accueillait encore 1,2 million de chrétiens avant l’invasion américaine de 2003, n’en compterait déjà plus que 300 000, dont la moitié sont réfugiés dans des conditions précaires au Kurdistan irakien…
La menace de Daech, qui pourrait s’élargir au Liban, à la Jordanie, à l’Égypte, paraît la plus dangereuse. « Personne ne veut plus d’interventions occidentales au Moyen-Orient. Mais cette fois encore, l’Occident doit intervenir parce que l’insécurité est devenue telle que les pays de la région ne maîtrisent plus la situation », prévient Antoine Fleyfel.
► Hypothèse 3 : La paix s’installe, les chrétiens reviennent
La clé d’une stabilisation de la région se trouve en Syrie, estime Nael Georges, chercheur à l’université de Genève.
« Il faudrait que Russie et Occident parviennent à se mettre d’accord, qu’un gouvernement d’unité nationale se constitue, que la communauté internationale accentue sa pression sur le régime pour mettre fin aux crimes contre l’humanité et permette une transition politique et une réconciliation nationale fondée sur les principes de la justice transitionnelle », considère-t-il. Alors l’élimination de Daech en serait facilitée à ses yeux, « parce que l’armée et la population lutteraient ensemble ».
Plus largement, une évolution politique serait nécessaire dans l’ensemble des pays à majorité musulmane pour permettre aux chrétiens de devenir partie intégrante de la société.
« Elle suppose l’affirmation d’une citoyenneté unique, et donc de l’égalité des droits, la création d’un environnement de libertés publiques reconnues et défendues par un État de droit, et enfin la reconnaissance et la préservation du pluralisme sociétal », résume Joseph Maïla.
La citoyenneté et l’enracinement national prendraient alors le pas sur l’appartenance religieuse comme ciment de la société.
La Croix