Les élections départementales qui se sont achevées récemment ont vu des votants de confession juive et musulmane se heurter à une lecture biaisée des principes de la laïcité émanant de certains membres de bureaux de vote, visiblement zélés et ignorants de la loi de 1905. En effet, un rabbin portant une kippa et des femmes voilées ont été sommés de se départir de l’objet du délit, à savoir pour l’un sa kippa et les autres leur voile, afin que leur vote soit validé. Il aura fallu, dans le meilleur des cas, l’intervention d’électeurs présents et d’autres membres du bureau, pour leur permettre finalement de remplir leur devoir de citoyens. Cette mésaventure, outre le malaise certain qu’elle a suscité chez les personnes qui en ont été les victimes et loin d’être un cas isolé, révèle surtout la méconnaissance du dispositif légal dans le domaine public.
La laïcité édicte tout d’abord que « la République assure la liberté de conscience et garantit le libre exercice des cultes dans les conditions fixées par la loi du 9 décembre 1905 ». Le statut de la fonction publique protège la liberté d’opinion des agents et ces derniers ont un devoir de neutralité en évitant d’exprimer leurs convictions personnelles et en ne portant pas de signes extérieurs d’appartenance religieuse. Si la loi est claire et ne devrait pas, en principe, donner lieu à une quelconque ambiguïté ou fausse interprétation, l’erreur serait, de la part de ces agents, de projeter sur les usagers du service public (facultés, bureaux de vote, centres de formation, etc.) une neutralité qui leur est imposée à eux seuls. Et, de même qu’il existe un cadre légal régissant les actes et comportements des agents du service public, les comportements des usagers du service public sont également régis par des règles et des lois qui leur permettent d’exprimer leurs convictions religieuses, sur la base de l’article 10 de la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen du 26 août 1789 qui stipule que « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre établi par la loi. » Par conséquent, les usagers ont droit à une égalité de traitement, quelle que soit leur croyance religieuse et sont égaux devant le service public. Ces derniers peuvent exprimer leurs convictions religieuses en portant un voile, une kippa, une croix, ou tout autre signe ostentatoire, tout en respectant la neutralité du service public, son bon fonctionnement ainsi que les impératifs de santé, de sécurité et d’hygiène. Ils doivent également se plier à toute vérification d’identité et de ce qui en découle et ne pas faire de prosélytisme. Nous voyons bien là qu’en théorie, le cadre légal relatif à la loi de 1905 est explicite tant pour les agents que les usagers du service public. En pratique, il en est tout autrement. Dès lors, pourquoi assiste-t-on régulièrement à des problèmes liés à la laïcité sur le terrain ?
Il y a tout d’abord un déficit réel de formation concernant les enjeux de la laïcité auprès des agents, des dispositifs dont les pouvoirs publics ne se sont pas suffisamment dotés. Au sein du service public (mairies, hôpitaux, universités, préfecture, etc.) cela se traduit par une application erronée du principe de laïcité, comme l’exemple des dernières élections départementales nous l’a démontré. Ensuite, d’un point de vue sociétal, la production d’un discours de diabolisation des religions et en particulier de l’islam n’a fait qu’accroître les conflits ces dernières années. La loi de 1905, au cœur des enjeux électoraux, a érigé la laïcité au rang de religion, entraînant des crispations là où la notion de vivre ensemble était relativement assurée (cantines scolaires, hôpitaux). Les exaspérations identitaires qui en découlent sont de plus en plus violentes car, en dépit d’une crise sociale et économique bien réelle, ces situations sont instrumentalisées par une classe politique qui, pour masquer son impuissance à résoudre les problèmes de fond (chômage, précarité), choisit de faire de la défense de la laïcité un cheval de bataille, en bannissant toute manifestation ostentatoire dans la sphère publique et en construisant un discours de rejet du religieux. Le succès de cette rhétorique autour de la loi de 1905 ne se dément pas, puisque les politiques, en particulier à droite, l’utilisent comme fonds de commerce lors de leurs campagnes électorales qui, par ailleurs, s’apparentent de plus en plus à de véritables campagnes marketing. En effet, aujourd’hui, il faut parler des religions et surtout de l’islam car le sujet, anxiogène, est vendeur électoralement : « l’immigré » ne mobilise plus, contrairement au « musulman ».
Mais la vraie laïcité n’est pas l’effacement du religieux, ni son renoncement. La laïcité n’est pas l’exclusion de l’Autre ni le confinement de la religion dans la sphère privée. La défense de la laïcité républicaine doit en priorité passer par l’information et la formation sur la loi de 1905 auprès de tous les acteurs publics (agents, politiques) qui, sur le terrain, en font une interprétation déviée et égratignent jour après jour sa véritable portée. C’est un enjeu crucial pour une compréhension des principes de la laïcité qui, rappelons-le, est avant tout la véritable garante du vivre-ensemble.
Fatima Achouri