Algérie : Le référent religieux ne doit pas prendre en otage tout un peuple

Selon la chercheure algérienne*, les mosquées peuvent empêcher la radicalisation et repousser les futurs candidats au djihad, à condition aussi de réformer le système pénitentiaire.

La surcharge des prisons en Algérie a incité le gouvernement à en construire davantage. Est-ce justifié ?

Oui et non. A mon avis, plus on construit de centres pénitentiaires, plus l’échec du système est visible. Bien sûr, nous en avons encore besoin, notre pays sort d’une guerre civile qui a éclaté la société. En Algérie, les prisons regorgent de prisonniers plus que prévu, il est alors nécessaire de prévoir d’en construire de nouvelles, à condition qu’elles soient aux normes internationales et qu’elles soient réfléchies en fonction des condamnations. On ne peut pas mélanger les affaires de trafic de drogue avec les affaires de terrorisme, par exemple.

D’ailleurs, l’Algérie a très tôt isolé certains détenus très dangereux des autres, même si cela n’a pas empêché la formation de nouvelles recrues. Nous avons compté sur nos services pour pallier les organisations secrètes et au déficit en termes de moyens de lutte contre le terrorisme.

Pensez-vous que l’administration pénitentiaire devrait revoir sa façon de gérer ou «penser» les prisons afin de détecter les nouveaux candidats au djihad ?

Cela est indispensable. Surtout avec cette nouvelle génération qui n’a pas forcément connu les milices assassines. Certains détenus étaient jeunes dans les années 90, ils n’ont pas connu le caractère sanguinaire et la guerre menée contre la société algérienne ; pourtant, ils se radicalisent. Comment expliquer qu’ils soient de véritables soldats prêts à mener la guerre au Mali, en Syrie ou en Irak ?

A mon avis, dès la détention il faut les insérer dans un programme spécialisé pour détecter leur degré de radicalisation et d’implication, puis définir le régime qu’il faut adopter. Pour cela, il faudrait aussi du personnel qualifié.

Qu’on se le dise, tous les radicaux ne sont pas forcément des terroristes. Un gardien de prison n’est pas une nounou, ni un bourreau. Cependant, une équipe pluridisciplinaire pourrait intervenir pour créer le climat et mettre en place le programme. Je pense que le ministère de la Justice a eu ce type de propositions, aujourd’hui je ne sais pas ce qui bloque.

Croyez-vous que le fait que l’État algérien veuille unifier les différents courants de l’islam sous le même référent peut prémunir de l’extrémisme violent ?

Avec l’arrivée de Mohamed Aïssa au ministère des Affaires religieuses et des Wakfs, il y a eu des petites révolutions invisibles, mais la tempête de sable est encore loin.

Ce qui est commun aux candidats du djihad, que ce soit en Algérie ou dans un autre pays, c’est le fait qu’ils ne soient pas de fins connaisseurs de la religion musulmane. Ceci démontre bien que la religiosité n’a pas une grande place dans la tête d’un terroriste, les motivations sont ailleurs. Nous ne sommes pas un pays où les religions peuvent coexister dans la paix, imaginez alors dans la même religion différents courants qui tentent de se frayer un chemin.

Certains n’hésitent pas à recourir à la violence pour s’imposer, c’est connu et on l’a constaté dans les années 90. L’erreur de l’Algérie a été l’hésitation et le passage à l’acte.

Un référent religieux ne doit pas prendre en otage tout un peuple, c’est-à-dire qu’on ne doit pas conditionner la vie d’un peuple sous un islam officiel et d’un autre côté flirter avec l’islam politique. La religion doit trouver «la paix», nous devons en parler sans se sentir mal à l’aise. Je suis convaincue par l’idée que les mosquées devraient être des lieux culturels pour l’apprentissage et l’accomplissement de soi.

 

* Zouleikha Badoui. Universitaire, fondatrice du think thank Maw’id, spécialisée des questions de paix et de sécurité dans la région MENA

 

 

El Watan.com

 

F. Achouri

Sociologue.

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