Peut-on être licencié pour cause de barbe trop longue ?

Les prud’hommes se penchent sur le cas de l’entreprise Securitas qui a licencié quatre agents de sûreté à Orly qui avaient refusé de raccourcir leur barbe.

         Accusée de discrimination religieuse, l’entreprise Securitas a défendu vendredi devant les prud’hommes, au nom de la laïcité, sa décision de licencier après les attentats du 13 novembre quatre agents de sûreté à l’aéroport d’Orly qui avaient refusé de raccourcir leur barbe. Une semaine après les attentats, une vingtaine d’agents de sûreté, chargés de scanner les passagers avant leur embarquement, sont convoqués par leur employeur, Securitas Transport Aviation Security (STAS).
La filiale du numéro un européen des services de sécurité leur enjoint de se conformer au « référentiel vestimentaire » en vigueur dans l’entreprise précisant que les « barbes, boucs ou moustaches » doivent être « courts, taillés, soignés et entretenus ». Pour avoir refusé de raccourcir leur barbe, quatre d’entre eux, qui se revendiquent musulmans pratiquants, sont renvoyés chez eux sans être payés.

« Leur comportement n’a pas changé d’un pouce »

« On m’a convoqué, je l’ai taillée, et on m’a dit que ce n’était pas assez », a affirmé, en marge de l’audience, l’un des plaignants, qui veut garder l’anonymat pour ne pas compromettre ses chances de retrouver du travail. Licenciés pour « faute grave » entre janvier et avril, les quatre ex-salariés, dont chacun porte une barbe de longueur et d’épaisseur variables, réclament des rappels de salaire et 5 000 euros de « provisions en dommages et intérêts » dans le cadre de cette procédure en référé. Pour leur avocat, Me Éric Moutet, « c’est une affaire de principe, qui est liée de manière évidente aux attentats de novembre ».
Les ex-agents, qui ont entre neuf et dix ans d’ancienneté, n’ont « jamais posé de problème particulier ». La preuve, c’est que l’autorisation qui leur a été délivrée de travailler dans la zone réservée de l’aéroport n’a jamais été « remise en cause par le préfet et le procureur de la République ».
« Ils sont porteurs d’un badge, mais également porteurs d’une barbe, qui ne s’est pas mise à pousser soudainement le 13 novembre au soir », ironise l’avocat. « Leur comportement n’a pas changé d’un pouce : c’est le regard sur eux qui a changé », dans le contexte de « peur » qui a suivi les attentats. Signe, selon lui, que l’on a affaire à une « discrimination liée à la pratique religieuse ». Or, pour l’avocat, si le voile est un « signe religieux incontestable », « la barbe, non ».
« À partir de quel moment c’est court ou c’est long ? »

Mais pour Me Benoît Dubessay, l’avocat du groupe suédois, ce sont les salariés eux-mêmes qui ont « fait le lien » entre leur religion et leur barbe, en affirmant : « Non, je ne la couperai pas, car c’est une manifestation de ma foi et vous n’avez pas le droit de porter atteinte à ma liberté religieuse. » En tant qu’agents de sûreté, ils exercent une mission de service public et sont donc tenus à une « obligation de neutralité qui découle du principe de laïcité », comme la Cour de cassation l’a rappelé dans son arrêt du 19 mars 2013 à propos du licenciement d’une employée de la CPAM 93 qui portait le voile.
Quant à l’allégation selon laquelle ces salariés ont toujours porté une barbe et que Securitas a changé de politique après les attentats, c’est « faux ». Non seulement ils ne l’ont pas toujours arborée, mais le « référentiel vestimentaire » de Securitas date d’au moins 2011, fait valoir l’avocat. « À partir de quel moment c’est court ou c’est long ? » l’interroge l’un des deux conseillers prud’homaux, qui porte une barbichette. Embarras de l’avocat, qui admet une « part de subjectivité ». « Votre bouc, pour moi, il est court. » Le jugement sera rendu le 17 juin.

 

AFP

F. Achouri

Sociologue.

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