Le chef de l’Etat veut mettre fin aux cours facultatifs de langue et de culture d’origine et au système des imams détachés par d’autres pays.
Que peut, que doit faire l’éducation nationale pour lutter contre ce que le gouvernement qualifie de « séparatisme islamiste » ? Les observateurs de l’école avaient pris les paris, ces derniers jours, quant aux annonces présidentielles attendues mardi 18 février, certains pronostiquant un « contrôle accru » des écoles privées musulmanes (8 000 enfants accueillis dans 75 établissements hors contrat), et d’autres, un « coup de projecteur » sur l’instruction à domicile (30 000 jeunes concernés).
Le chef de l’Etat a joué une autre carte mardi 18 février, en annonçant, pour la rentrée 2020, la suppression « partout sur le sol de la République » des ELCO, ces enseignements de langue et de culture d’origine assurés par des maîtres étrangers dans les écoles primaires, essentiellement, et que fréquentent, hors du temps scolaire, quelque 80 000 enfants.
L’acronyme ELCO ne dira pas grand-chose aux non-initiés : ce dispositif facultatif, régi par des conventions bilatérales signées, à partir des années 1970, avec neuf pays (Algérie, Croatie, Espagne, Italie, Maroc, Portugal, Serbie, Tunisie et Turquie), visait au départ à permettre aux enfants du regroupement familial de maintenir un lien avec leur pays d’origine – et à faciliter leur retour éventuel. Mais ceux qui suivent de près les débats sur l’école savent que ces ELCO nourrissent, depuis au moins deux décennies, des soupçons de prosélytisme religieux plus ou moins étayés, des critiques sur les contenus enseignés autant que sur le recrutement des maîtres, du ressort des pays d’origine.
Négociations diplomatiques
« Je ne suis pas à l’aise à l’idée d’avoir dans l’école de la République des femmes et des hommes qui peuvent enseigner sans que l’éducation nationale ne puisse exercer le moindre contrôle. Et nous n’avons pas non plus le contrôle sur les programmes qu’ils enseignent », a fait valoir Emmanuel Macron à Mulhouse (Haut-Rhin), mardi, évoquant « de plus en plus d’enseignants qui ne parlent pas le français ». Avant d’ajouter : « On ne peut pas enseigner des choses qui ne sont manifestement pas compatibles ou avec les lois de la République ou avec l’histoire telle que nous la voyons. »
A compter de septembre prochain, c’en sera donc fini des ELCO, remplacés par des « enseignements internationaux en langue étrangère » – des « EILE », a précisé le chef de l’Etat – sur lesquels on ne sait pour l’heure pas grand-chose, sinon que des négociations diplomatiques sont engagées avec les pays concernés. « Nous avons réussi [à trouver un accord] avec tous ces pays, sauf la Turquie à ce stade. Je ne désespère pas », a précisé M. Macron.
« Des vieilles recettes »
Dans les cercles éducatifs, mardi soir, une même réaction fusait : « On ressort des vieilles recettes. » En 2016, déjà, Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de l’éducation, promettait la transformation en sections internationales des ELCO, au motif qu’ils ne véhiculaient pas un « enseignement linguistique de qualité » et enfermaient les élèves dans une « logique d’entre-soi ». Mme Vallaud-Belkacem a d’ailleurs réagi mardi à l’annonce présidentielle, sur Twitter, pour rappeler qu’elle avait initié l’évolution et les démarches diplomatiques sous le précédent quinquennat, au moins avec le Portugal et le Maroc.
« Je regrette qu’on annonce l’arrêt des ELCO sans annoncer en même temps une véritable relance de l’enseignement de l’arabe à l’école publique prise en charge par des enseignants de l’école publique », souligne pour sa part l’essayiste Hakim El Karoui, auteur de plusieurs rapports pour l’Institut Montaigne. « La suppression des ELCO est une bonne chose, concède Jack Lang, deux fois ministre de l’éducation. L’enseignement de l’arabe doit aujourd’hui être assuré pleinement et totalement par l’éducation nationale, sans cela nous prenons le risque de laisser des officines religieuses ou parareligieuses s’en acquitter. »
Le président de l’Institut du monde arabe, qui vient de publier La Langue arabe, trésor de France (Le Cherche Midi, 128 p., 12,50 euros), tient à rappeler que, dans un pays qui compte trois millions d’arabophones (tous dialectes confondus), l’« arabe standard », comme on dit dans le jargon de l’école, n’est appris que par un élève sur 1 000 au primaire, et par deux sur 1 000 au collège. « Ces annonces sont certainement l’acte I d’un plan plus vaste et plus complet », conclut-il.
Dialogue avec Alger et Rabat
Le second volet de la lutte contre les « influences étrangères » porte sur deux aspects du fonctionnement du culte musulman, mais il demande à être détaillé. Le président de la République a d’abord annoncé la sortie progressive du système des imams détachés. Cela fait référence aux quelque 300 imams formés, choisis et payés par la Turquie (150), l’Algérie (120) et le Maroc (30) pour exercer en France, dans des mosquées affiliées aux fédérations musulmanes proches de ces pays d’origine, selon les termes d’accords bilatéraux négociés avec Paris.
Ces cadres religieux continueront d’officier, avec une fin, programmée en 2024, à l’expiration des visas, mais il n’en viendra plus d’autres. Ils sont l’un des symboles de ce que l’on appelle l’islam consulaire, c’est-à-dire un culte en partie régenté par les Etats d’origine des musulmans présents en France, avec la bénédiction des autorités françaises. A noter que, comme sur le sujet des ELCO, le chef de l’Etat s’est félicité du « dialogue » mené ces dernières semaines avec Alger et Rabat sur le sujet, mais il n’a pas inclus Ankara dans son satisfecit. La Turquie est pourtant la première pourvoyeuse d’imams détachés.
Renoncer aux imams détachés suppose de réfléchir d’autant plus activement à la manière de former en France des imams pour les quelque 2 500 lieux de culte musulmans. C’est pour l’Etat un sujet particulièrement épineux puisque le principe de la séparation lui interdit d’intervenir dans la formation (au moins dans sa partie religieuse) des ministres du culte. Aussi, l’exécutif a-t-il prié le Conseil français du culte musulman de lui faire, d’ici à fin mars, des « propositions concrètes » pour former et/ou certifier des imams « respectueux des lois de la République ».
Il a ajouté que « dans les prochaines semaines », un projet de loi devrait permettre de « mieux contrôler les financements étrangers des lieux de culte pour garantir leur pleine transparence ». Il pourra s’appuyer pour cela sur le travail effectué l’an passé par le ministère de l’intérieur avant que le projet de réforme de la loi de 1905 ne soit ajourné.
Voilà des précisions bienvenues. Sur le contrôle des écoles privées hors contrat comme sur celui de l’instruction à domicile – deux sujets sensibles –, le ministre de l’éducation a livré, mercredi 19 février sur les ondes de Franceinfo, quelques chiffres attendus. « J’ai empêché l’an dernier 27 ouvertures d’écoles [hors contrat] sur la base de la loi Gatel » – une loi qui est venue renforcer, en 2018, l’encadrement de ce secteur minoritaire au sein l’enseignement privé –, a annoncé M. Blanquer, sans distinguer parmi ces établissements ceux qui sont confessionnels de ceux qui ne le sont pas.
Quelque 186 demandes d’ouvertures d’établissement ont été déposées et examinées en 2018-2019. Le ministre de l’éducation a aussi annoncé avoir procédé à la fermeture de quatre écoles (« et j’en fermerai d’autres », a-t-il dit), des structures localisées à Toulouse, à Echirolles (Isère), à Marseille et à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis), précise-t-on Rue de Grenelle. On y souligne aussi que les oppositions aux ouvertures d’école hors contrat sont quatre fois plus nombreuses que par le passé.
Concernant l’instruction à domicile, « de 2 000 à 3 000 situations de jeunes peuvent poser problèmes et sont suivis de près », a aussi annoncé le ministre à la radio. Sur les 30 000 enfants et adolescents instruits « à la maison » (ils étaient 25 000 en 2014-2015, 18 820 en 2010-2011), la moitié l’est pour des raisons médicales, a tenu à préciser M. Blanquer, nuançant son propos sur les « déscolarisations problématiques ».
Le Monde