Défendre la liberté religieuse et rendre hommage aux martyrs d’aujourd’hui. Tels sont les objectifs de la Nuit des témoins organisée ce vendredi en la cathédrale Notre-Dame de Paris. La parole aux témoins vivants. Pour cette sixième édition, la fondation « Aide à l’Église en détresse » a choisi des personnalités chrétiennes de quatre pays au cœur de l’actualité : La Syrie, la Centrafrique, l’Égypte et l’Irak. Tous dénoncent l’instrumentalisation de la religion et aspirent à vivre ensemble.
De gauche à droite : Mgr Amel Shamon Nina, archevêque de Mossoul (Irak) ; Mgr Ibrahim Isaac Sidrak, Patriarche de l’Église catholique copte d’Égypte ; Sœur Raghida Al Khouri, religieuse syrienne ; Mgr Dieudonné Nzapalaïnga, archevêque de Bangui (Centrafrique)
« La diversité religieuse n’est pas un problème. Le problème, c’est l’utilisation de la religion à des fins politiques », regrette Mgr Amel Shamon Nona, archevêque de Mossoul (Irak). Une vision partagée par les trois autres personnalités religieuses qui participent à la Nuit des Témoins ce vendredi 28 mars en la cathédrale Notre-Dame de Paris*. « Ce sont des manipulations politiques. La Syrie était un pays laïc où musulmans et chrétiens se côtoyaient dans le respect et l’acceptation », se souvient la Sœur Raghida Al Khouri, religieuse syrienne. « Ce que l’on appelle le « Printemps arabe » est plutôt un automne ou un hiver. Il a divisé les Syriens ».
2013, une année meurtrière
En 2013, la situation s’est dégradée pour de nombreuses minorités religieuses dans le monde. « 75 % des atteintes à la liberté religieuse sont dirigées contre des chrétiens », note Marc Fromager, directeur de l’Aide à l’Eglise en détresse en France. « Mais le rapport que nous réalisons chaque année sur la liberté religieuse concerne toutes les religions ». En Irak, l’année passée a été la plus sanglante depuis 2008, avec plus de 9000 civils tués. Le directeur signale également l’augmentation des attaques contre les musulmans rohingyas par les bouddhistes en Birmanie et les représailles contre les musulmans de Centrafrique.
« Les musulmans ne sont pas nos ennemis, ce sont nos frères »
Ce pays n’a pas été oublié. Mgr Dieudonné Nzapalaïnga, archevêque de Bangui, vient témoigner des événements sanglants de l’année écoulée. En mars 2013, les miliciens de la Seleka, majoritairement musulmans, se sont emparés de la capitale centrafricaine. Ils ont multiplié les exactions contre la population, notamment envers les non-musulmans. En réaction sont apparues des milices d’autodéfense, les anti-balaka. « Ceux-ci se font appeler milices chrétiennes. C’est faux. Jamais je n’ai demandé à un groupe d’attaquer des musulmans. les anti-balaka ont été manipulés. Les musulmans ne sont pas nos ennemis, ce sont nos frères », lance l’archevêque de Bangui.
Depuis le début des violences, il s’est associé à un imam. « Il a eu le courage de dénoncer ceux qui tuent, violent et pillent. Cela lui a valu d’être convoqué par le pouvoir ». Mgr Nzapalaïnga rend hommage à des chrétiens qui ont donné leurs vies : « Certains ont été tués pour avoir refusé de laisser leurs enfants entrer dans les milices ».
En Syrie, les modérés sont tués
Situation similaire en Syrie, où les chrétiens sont victimes de leur neutralité : « Ils sont restés à l’écart des insurgés. Ces derniers les ont donc considérés comme des opposants au changement. Au bout de quelques mois, ils ont été ciblés par des attaques de rebelles », raconte Sœur Raghida Al Khouri. Le 11 novembre dernier, son petit cousin a été tué. « 700 obus sont tombés sur un quartier chrétien de Damas. Il a été tué dans le bus avec d’autres enfants ».
Les Syriens ne voient pas le bout du tunnel. « Ceux qui peuvent partir s’en vont. Quand ils ont une bonne situation, ils louent une maison au Liban. D’autres sont accueillis chez des amis ou de la famille ».
Mais le conflit n’empêche pas chrétiens et musulmans d’être solidaires. « Pendant une semaine, ma soeur a logé une musulmane qui avait perdu sa maison ». Aucune communauté n’est épargnée : « Les Druzes sont modérés. Résultat : leur chef a été tué dans un attentat kamikaze ».
La situation des chefs religieux est tout aussi délicate en Irak : « Nous nous entendons bien avec les responsables religieux musulmans. Mais ils n’ont pas d’influence sur les groupes extrémistes. Et s’ils s’y opposent frontalement, ils se font couper a tête », affirme Mgr Nona.
Vers plus de liberté religieuse en Egypte ?
Un tableau bien sombre, que seule la situation égyptienne vient éclaircir. Mgr Ibrahim Isaac Sidrak, Patriarche de l’Église catholique copte d’Égypte, voit quelques signes d’espérance. « Nous sommes dans un tournant. La nouvelle Constitution votée le 15 janvier met au clair la notion de citoyenneté et englobe toutes les communautés. Elle donne aussi une place aux femmes et aux handicapés ».
Une lueur d’espoir dans un cheminement qui a vu le peuple égyptien renverser deux régimes. « Le premier, celui de Moubarak, abusait du pouvoir. Le second, celui de Morsi, instrumentalisait la religion ».
Le Patriarche salue l’attitude des chrétiens d’Egypte : « Quand nous avons été attaqués par les Frères musulmans en août 2013, nous aurions pu nous laisser entraîner dans la guerre civile. Mais nous avons compris que c’était l’Egypte qui était attaquée. Contrairement aux Frères musulmans, les chrétiens n’ont pas demandé l’aide étrangère. Les citoyens égyptiens ont ainsi vu que les chrétiens sont de vrais Égyptiens. »
En attendant l’élection présidentielle en avril, Mgr Sidrak reste optimiste : « On peut faire quelque chose avec les musulmans sincères qui aiment l’Égypte ».
SœurRaghida aimerait pouvoir en dire autant. Elle demande l’aide de la France et de l’Europe pour « qu’on ramène les libertés de l’homme et la dignité en Syrie comme dans tout le Moyen-Orient ».
Le Monde des Religions