Le Pentagone a confirmé, lundi 4 avril, avoir tué Abou Firas Al-Souri, porte-parole du Front Al-Nosra en Syrie, par une frappe aérienne. Sa mort, à Kafr Jalis (dans la région d’Idlib, dans le nord-ouest du pays) avait été annoncée la veille sur les réseaux sociaux par des cadres de la branche syrienne de l’organisation djihadiste.
Homme de liaison entre Al-Nosra et les autres groupes armés djihadistes syriens jusqu’à sa mort, Abou Firas Al-Souri, aurait été tué, selon l’Observatoire syrien des droits de l’homme, alors qu’il était en réunion avec « des djihadistes de Djound Al-Aqsa [un groupe de combattants arabes] et des djihadistes ouzbeks ».
Chef de guerre, mais surtout théoricien et même selon ses dires « poète djihadiste » prolifique ces dernières années, sur son blog et sa page Facebook, Abou Firas Al-Souri était aussi un « historique » du djihad syrien. Il avait une première fois pris les armes contre le régime il y a… quarante ans.
Ambitions territoriales du Front Al-Nosra
Abou Firas al-Souri, de son vrai nom Radwane Mahmoud Nammous, a été lieutenant dans l’armée syrienne.Né à Madhaya, à une cinquantaine de kilomètres de Damas, en 1950, Abou Firas al-Souri, de son vrai nom Radwane Mahmoud Nammous, a été lieutenant dans l’armée syrienne, d’où il déserte en 1976 pour rejoindre l’Avant-Garde combattante, l’aile militaire et radicale des Frères musulmans pendant l’insurrection islamiste que connaît le pays de 1976 à 1982. Une première guerre civile, dont le point culminant est le massacre de la ville de Hama en 1982. Les forces du régime assiégèrent et écrasèrent la ville, tuant entre 10 000 et 40 000 personnes.
Abou Firas Al-Souri quitte le pays en décembre 1980 pour se réfugier en Jordanie, qu’il fuit très rapidement pour l’Afghanistan, où il rencontre Oussama Ben Laden : « Je suis arrivé là-bas en 1981, avant lui [Ben Laden]. Nous l’avons rencontré en 1983. Ce n’était alors qu’un garçon saoudien normal venu pour le djihad. Un jeune frère qui n’a commencé à gagner en notoriété que petit à petit à partir de 1987 ; il n’avait pas encore les réflexions et la compréhension qui l’ont rendu célèbre après. Il a appris tout cela lors de ce djihad [contre les Soviétiques] », racontait-il en octobre 2015 dans la revue du Front Al-Nosra, avec comme une petite touche de condescendance propre aux « anciens ».
« Il y a beaucoup d’erreurs dans le djihad syrien, par exemple du chaos »
De ces années afghanes, il retenait aussi les impasses qui guetteraient les djihadistes en Syrie, dévoilant au passage les ambitions territoriales et « étatiques » du Front Al-Nosra : « Il y a beaucoup d’erreurs dans le djihad syrien, par exemple du chaos et un manque général d’organisation. La formation des groupes armés ne repose que sur des capacités militaires [et non politiques]. Et ces groupes n’ont aucune idée de ce que c’est que gouverner. Les Afghans étaient comme ça. Ils n’ont jamais réfléchi à la construction d’un Etat islamique et avec des institutions efficaces. »
Du Yémen à la Syrie
Comme beaucoup d’« étrangers », il quitte l’Afghanistan en 2001 lors de l’intervention américaine et la chute du régime des talibans pour le Pakistan, puis le Yémen en 2004. S’il rentre en Syrie à la fin de l’année 2012, selon le Front Al-Nosra, sa première apparition publique, dans une vidéo de mars 2014, coïncide avec la montée des tensions et les affrontements fratricides entre Al-Qaida et l’Etat islamique, qu’il attaque violemment. Il accuse alors notamment l’organisation d’Abou Bakr Al-Baghdadi du meurtre d’une autre figure d’Al-Qaida, avec qui il avait tenté dans un premier temps de servir d’intermédiaire dans le conflit opposant le Front Al-Nosra et ce qui deviendra, en juin 2014, l’organisation Etat islamique : Abu Khalid Al Suri, membre prééminent, lui, du groupe salafiste Ahrar Al-Cham et ancien, lui aussi, de l’Avant-Garde combattante syrienne.
Sur le réseau Twitter, un membre d’Ahrar Al-Cham a d’ailleurs partagé en hommage une photographie prise à une date inconnue où figurent les deux hommes en pleine discussion avec Hassan Abboud, l’émir de l’organisation salafiste jusqu’à sa mort, en septembre 2014. Ce qui atteste, une fois de plus, de la proximité – si ce n’est de l’entrisme à cette époque – de figures d’Al-Qaida avec la direction d’Ahrar Al-Cham. Un groupe qui se définit officiellement comme purement syrien (il n’appelle pas à un djihad global) et qui entretient de très bonnes relations avec le Qatar et la Turquie, notamment.
Les deux mouvements collaborent toujours au sein de l’Armée de la conquête, la coalition militaire qui a pris le contrôle de la région d’Idlib en 2015 et sont aujourd’hui repassés à l’offensive contre les positions gouvernementales, au sud de la ville d’Alep.
Après Abdelrahmane Al-Qadouli, homme de confiance d’Abou Bakr Al-Baghdadi et numéro 2 de l’Etat islamique, c’est une deuxième figure historique du djihad mondialisé qui est visée et tuée par les Etats-Unis en à peine dix jours.
Le Monde.fr