Le procès pour « génocide » intenté par l’Afrique du Sud contre Israël commencera à être discuté cette semaine à la Cour internationale de justice de La Haye. Que pourrait-il se passer ?
La Cour internationale de justice (CIJ) tiendra cette semaine les premières audiences dans l’affaire de génocide portée contre Israël par l’Afrique du Sud, qui exige que le gouvernement de Benjamin Netanyahu mette fin aux opérations de combat à Gaza.
L’audience, prévue les 11 et 12 janvier, est très importante pour Israël qui, pour la première fois depuis des décennies de boycott de la plus haute juridiction de l’ONU, a accepté de se défendre devant les 15 juges élus à La Haye, aux Pays-Bas.
Quel est l’objet de l’affaire ?
L’Afrique du Sud a saisi la CIJ fin décembre, alléguant qu’Israël s’était livré à des « actes génocidaires » à Gaza au cours de sa guerre déclarée contre le Hamas et demandant à la Cour d’approuver une mesure provisoire qui empêcherait les forces de défense du pays de poursuivre leurs opérations meurtrières dans la région.
Selon l’Afrique du Sud, Israël aurait violé les obligations qui lui incombent en vertu de la convention sur le génocide. Le document de 84 pages déposé par l’Afrique du Sud accuse Israël d’avoir commis des actes à Gaza qui sont « de nature génocidaire parce qu’ils visent à provoquer la destruction d’une partie substantielle du groupe national, racial et ethnique palestinien ».
Selon le ministère de la Santé du Hamas, plus de 22 000 Palestiniens, dont la plupart sont des femmes et des enfants, ont été tués par des frappes israéliennes depuis le début du conflit. La guerre a été déclenchée par l’attaque du Hamas contre Israël le 7 octobre, qui a fait 1 200 morts, pour la plupart des civils.
Israël a démenti l’accusation de l’Afrique du Sud « avec dégoût », la qualifiant de « sans fondement » et annonçant qu’il se défendrait devant les tribunaux – une décision qui rendrait plus difficile pour le gouvernement israélien d’écarter toute condamnation éventuelle.
Comment Israël se défendra-t-il ?
L’intention génocidaire nécessaire – qui est une caractéristique très particulière pour que le crime de génocide soit prouvé – dans ce cas particulier « peut être étayée par le modèle de conduite de l’armée israélienne, mais aussi par plusieurs déclarations publiques faites par plusieurs représentants et fonctionnaires israéliens« , affirme à Euronews Maria Varaki, Maître de conférences en Droit international au département des études sur la guerre du King’s College de Londres.
Mais c’est cet aspect qu’Israël est susceptible de contester, selon Alonso Gurmendi Dunkelberg, Maître de conférences en relations internationales au King’s College.
« Pour qu’il y ait génocide, il faut que le crime ait été commis avec l’intention spécifique de détruire un groupe en tant que tel, de détruire un groupe parce qu’il est ce groupe », explique-t-il à Euronews.
« C’est là le point délicat et je m’attends à ce que la défense d’Israël se concentre sur ce point. Il dira soit qu’il n’a pas commis l’acte lui-même, soit qu’il n’a pas créé les conditions qui rendent Gaza inhabitable, en insistant sur le fait qu’il a laissé passer des camions transportant de l’aide », ajoute Alonso Gurmendi Dunkelberg.
Combien de temps faudra-t-il à la CIJ pour prendre une décision ?
L’audience des 11 et 12 janvier n’examinera pas encore le bien-fondé de la plainte pour génocide déposée contre Israël, mais se prononcera uniquement sur les mesures conservatoires demandées d’urgence par l’Afrique du Sud. Cette dernière décision pourrait intervenir entre quelques semaines et un ou deux mois après l’audience, selon les experts.
« Si la Cour suit ce qu’elle a fait dans les affaires précédentes, Gambie contre Birmanie ou Ukraine contre Russie – qui ont toutes deux invoqué la Convention sur le génocide – je m’attends à ce que la Cour accorde la mesure provisoire [demandée par l’Afrique du Sud] dans quelques semaines », confie Maria Varaki.
En ce qui concerne le fond de l’affaire de génocide, Alonso Gurmendi Dunkelberg précise qu’il pourrait « s’écouler plusieurs années » avant que la Cour ne rende un verdict.
Que signifierait une condamnation pour Israël ?
La Cour Internationale de Justice, principal organe judiciaire des Nations unies, n’a pas le pouvoir d’engager des poursuites, mais ses décisions ont un certain poids au sein de la communauté internationale. Une condamnation pour génocide a un impact considérable sur la position d’un pays sur la scène internationale.
« La convention sur le génocide traite des crimes. C’est pourquoi plusieurs personnes souhaitent cette condamnation », souligne Maria Varaki. « Je ne parle pas uniquement de l’affaire en cours. D’une manière générale, ils veulent une condamnation parce qu’ils pensent qu’il s’agit de la pire condamnation jamais prononcée ».
Alors qu’Israël aurait l’obligation légale de donner suite à l’approbation potentielle par la CIJ de la mesure conservatoire demandée par l’Afrique du Sud, Alonso Gurmendi Dunkelberg confie qu’il y avait eu des précédents de cas de non-respect, y compris aux États-Unis.
« Le problème, c’est qu’il n’y a pas de police internationale pour frapper à votre porte et vous dire : vous avez enfreint l’ordonnance d’un juge, je vous arrête pour outrage à magistrat ou quoi que ce soit de ce genre. Tout dépend donc de ce que les autres États peuvent faire et de ce qu’ils font« , explique-t-il.
« En supposant qu’Israël ne se conforme pas à l’ordonnance – ce qui n’est pas le cas, Israël pourrait tout simplement s’y conformer -, d’autres États pourraient alors faire pression sur Israël [pour qu’il le fasse] ». Une condamnation pourrait affaiblir le soutien des alliés occidentaux à la guerre d’Israël à Gaza.
Euronews