Aggiornamento, inch Allah

Il y a deux semaines, cet éditorial était consacré au pape François, cet étonnant souverain pontife qui aura révolutionné sa fonction et suscité un immense espoir, pas seulement chez les catholiques, d’ailleurs, ce qui n’est pas rien. Un homme qui veut réformer le Vatican et dépoussiérer l’Église, faisant siennes les grandes questions de notre temps, comme la répartition des richesses, l’équité et la justice, la modernité, le rôle et la place des femmes, la nature du mariage, l’individualisme, bref toutes les questions liées à l’évolution de la société.

Petit tour, cette fois, du côté du monde arabo-musulman. Comparaison n’étant pas raison, prenons les précautions d’usage en laissant de côté l’absence de clergé (du moins chez les sunnites) et, partant, de « guides » supposés, et les écarts de développement (donc du niveau d’éducation moyen) entre, d’une part, l’Occident ou l’Amérique latine, par exemple, et, d’autre part, le Moyen-Orient ou l’Afrique du Nord. Premier constat : le monde arabo-musulman peine, voire rechigne, à entrer dans la modernité. Il accuse un retard criant par rapport au reste de la planète, et l’intolérance y règne bien trop souvent, notamment à l’égard des autres religions. Le statut des femmes, réduites à leur qualité de mère et au rang de simple complément de l’homme au sein de sociétés maladivement conservatrices, est une honte. Tout comme sont consternants le niveau général de l’enseignement et le peu de moyens alloués à la recherche ou à l’innovation. Quant à la séparation du politique et du religieux, elle demeure un rêve que les révolutions arabes auront éloigné un peu plus. Sur le plan des libertés individuelles, de la démocratie et de l’État de droit, on est loin d’avoir répondu aux aspirations des citoyens… Que dire, enfin, des effroyables déclarations et autres fatwas rétrogrades ou d’une insondable bêtise émanant d’une pléthore de prédicateurs, imams ou islamistes qui se sentent autorisés à parler au nom de tous les fidèles ?

Le silence assourdissant des élites ou des supposés intellectuels musulmans face aux dérives obscurantistes ou aux diktats pseudo-coraniques est un véritable crève-coeur.

Gardons-nous, cela posé, de tomber dans la caricature, comme c’est trop souvent le cas en Occident : tous les musulmans ne sont naturellement pas des fous de Dieu, loin de là. Mais ce sont toujours, hélas, ceux qui font le plus de bruit que l’on entend. Par contraste, le silence assourdissant des élites ou des supposés intellectuels musulmans face aux dérives obscurantistes ou aux diktats pseudo-coraniques est un véritable crève-coeur pour tous ceux qui ne supportent plus de voir leur religion dévoyée et prise en otage. Les rares penseurs lucides et cultivés à même de défendre une interprétation moderne des textes religieux sont réduits à la confidentialité, quand ils ne sont pas bâillonnés. L’islam va mal et donne une bien mauvaise image de lui-même.

Si, évidemment, il ne saurait être question d’un Jorge Bergoglio musulman pour moderniser l’islam, il n’en est pas moins urgent de voir émerger de nouveaux Méhémet Ali, Jamal al-Din al-Afghani ou Mohamed Abduh, ces réformistes qui, depuis l’Égypte, lancèrent une nécessaire nahdha (« renaissance ») politique, culturelle et religieuse… au XIXe siècle. Et un tel sursaut, comparable à l’aggiornamento de l’Église catholique, commence, pour les intéressés, par la prise de conscience de leur retard et de leur décrépitude…

 

Jeune Afrique

Fatima Achouri

Sociologue spécialiste de l’islam contemporain.

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