Au Caire, les Egyptiennes tombent le voile

Ces deux dernières années, de plus en plus de femmes, en particulier chez les jeunes, renoncent au hijab, y compris chez les ministres, les députés et les fonctionnaires.

 

Une émission de milieu d’après-midi sur une chaîne égyptienne dédiée aux femmes est consacrée à la cuisine. Deux présentatrices s’activent entre les légumes coupés et les casseroles sur le feu tout en donnant des précisions sur leur recette. L’image serait tout à fait traditionnelle si les deux dames n’étaient pas apprêtées comme pour une grande soirée. L’une, en robe noire à strass avec une épaule nue, laisse tomber ses cheveux longs en grandes boucles. L’autre, en satin rouge, affiche un grand décolleté et une crinière noire. Une apparence impensable il y a quelques années encore en Egypte, où la même émission était animée par des femmes portant le hijab.

Loin d’être réservé à la télévision, le phénomène du renoncement au hijab s’est accéléré ces deux dernières années, en particulier chez les jeunes Egyptiennes. Celles-ci s’irritent de devoir expliquer ou justifier leur décision en affirmant leur droit à «la liberté de choix» dans ce domaine. Dans les discussions sur les réseaux sociaux, elles récusent un lien avec la vague anti-islamiste et la diabolisation des Frères musulmans par le régime autoritaire du Président Abdel Fattah al-Sissi depuis 2014. Il reste que le nombre de femmes qui apparaissent tête découverte dans l’espace public, y compris parmi les ministres, les députés et les fonctionnaires, est en nette augmentation.

On s’était en effet habitué depuis des décennies à voir plus de 90 % des Egyptiennes dans les rues, tête recouverte d’un voile étroitement serré autour du cou. Certes, cela n’a jamais interdit à leur coquetterie de s’exprimer par des foulards aux couleurs éclatantes, aux tissus brillants et aux imprimés voyants, encadrant souvent un visage lourdement maquillé. Tandis que leurs jupes longues très moulantes soulignant leurs formes contredisent l’objectif du hijab de cacher l’apparence des femmes. On avait oublié que, dans les années 60, l’écrasante majorité des étudiantes à l’université du Caire, comme des femmes dans les rues de la capitale, ne portaient pas de couvre-chef. Qu’elles se référaient encore au geste historique des premières militantes nationalistes des années 20, qui avaient ôté leur voile en signe d’émancipation religieuse, sociale et nationale.

La vague actuelle de renoncement au symbole des années de conservatisme social et religieux qui a touché l’ensemble des pays arabo-musulmans est sans doute bienvenue. Si seulement les Egyptiennes ne poussaient pas l’excès jusqu’à présenter des émissions de cuisine en tenue de gala…

 

Libération

F. Achouri

Sociologue.

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