Au Québec, le voile divise les femmes

Dans un Québec en pleine campagne électorale (les habitants doivent élire le 7 avril leurs députés), sur quoi portent les débats ? L’économie, l’énergie, l’environnement, ou encore l’éducation ? A peine… Tout semble ici devoir se focaliser autour d’un seul sujet, la laïcité.

Il est vrai que c’est sur une charte de la laïcité que le gouvernement actuel de Pauline Marois a voulu ressouder une majorité fragile. Et qu’elle s’en sert dans la campagne comme d’un étendard pour unir un Québec en proie à une profonde crise identitaire.

charte

Accommodements raisonnables

Au départ, quelques cas de dysfonctionnements repris amplement par les médias dans les hôpitaux ou les écoles, de femmes voilées ou de sikhs en turban. Voilà qui a semblé suffisant pour remettre en cause la politique « d’accommodements raisonnables » en œuvre jusqu’ici dans la Belle province.

La future charte prévoit un durcissement des règles de la laïcité dans l’espace public, et notamment l’interdiction de porter le voile dans les services publics, sur le modèle de la France.

Propos xénophobes et racistes

A l’arrivée, un débat violent, qui a donné lieu à des propos parfois xénophobes, racistes, le gouvernement semblant jouer avec cette charte sur la peur de l’étranger dans un pays où les immigrés sont nombreux.

La charte est parvenue à diviser jusqu’aux féministes, qui représentent ici une part importante de l’opinion publique. Le gouvernement a en effet mis en avant, pour « vendre » sa charte, l’égalité homme-femme.  Certaines féministes ont enfourché ce combat pour la laïcité. Pour elles, le voile est un instrument de soumission de la femme, et de manière générale, la religion l’est aussi.

Femmes musulmanes

Pour d’autres au contraire, c’est la charte qui risque de devenir un instrument d’exclusion des femmes, en les barrant de la fonction publique et en les stigmatisant, du fait de pratiques religieuses personnelles.

Le débat, qui s’est focalisé sur les femmes musulmanes, semble leur donner raison.

Cette fracture dans le féminisme est pour partie générationnelle. Parmi les plus ferventes partisanes de la charte, on retrouve les « jeannettes », comme on les surnomme ici avec affection: des Québécoises âgées entre 55 et 75 ans, qui ont dû se battre pour faire reconnaître leur place, à une époque où l’Eglise catholique omniprésente ne leur en accordait guère. Comme le note Alexa Conradi, présidente de la Fédération des femmes du Québec « cette génération a souffert de la religion, et le simple fait de porter un voile déclenche chez elles une réaction d’hostilité quasi épidermique ».

La religion bouc émissaire

De l’autre, des femmes plus jeunes, souvent issues de l’immigration, dont les mères et grands-mères portaient le voile, ce qui, disent-elles, ne les a pas empêchés de se battre pour sortir de leur condition. Trop facile de faire de la religion le bouc émissaire de la condition faite aux femmes, estiment-elles, mettant plutôt en avant les inégalités économiques et d’éducation. Elles font aussi remarquer que la manière dont le corps de la femme être traité dans cette société au capitalisme débridé, à travers la publicité ou certains films, est tout aussi dégradante.

Le problème des femmes et de la religion

Au fond, le débat autour de la laïcité a glissé sur le problème des femmes et de la religion. « Cela a au moins l’avantage de nous rappeler le rôle important qu’a tenu et que tient toujours la religion dans notre identité québécoise » remarque Yvon Rivard écrivain et ancien universitaire qui vient de publier un livre écrit par plusieurs intellectuels sur la charte (« l’urgence de penser »).

La « Révolution tranquille » a voulu mettre fin au pouvoir de l’Église et provoqué une sécularisation brutale de la société. Mais le Québec, quoi qu’il en dise,  n’en a sans doute pas pour autant fini avec la religion…

 

La Croix

Fatima Achouri

Sociologue spécialiste de l’islam contemporain.

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