Le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin a annoncé son intention de dissoudre l’organisation née en 1999, à la suite de «propos ignominieux» sur les juifs, tenus lors des universités d’été du mouvement.
«Vous avez eu un événement en septembre 1791, la naturalisation des juifs (…) Avant 1789, un juif, un musulman, un bouddhiste ne pouvaient pas devenir Français. Pourquoi? Parce que c’étaient des hérétiques (…) La naturalisation de juifs en 1791 ouvre la porte à l’immigration (…) Il faudrait peut-être retrouver la situation d’avant 1789!». Ces dires de Pierre Hillard, essayiste controversé, tenus lors des universités d’été de l’institut Civitas, sont la goutte d’eau qui fait déborder le vase de Gérald Darmanin.
Le ministère de l’Intérieur a annoncé ce lundi soir, dans une publication sur le réseau social X (ex-twitter), la saisie du procureur de la République et l’instruction de la dissolution de Civitas, pour ces «propos ignominieux». Il faut dire que le mouvement, d’abord constitué en tant qu’association en 1999, puis transformé en parti politique en 2016, est régulièrement au centre des polémiques.
Opposants aux concerts dans les églises
Les dernières d’entre elles datent d’il y a quelques mois. Les militants de l’organisation avaient milité contre la tenue de concerts dans des églises, dont celui de l’organiste Kali Malone en mai à Carnac (Morbihan) et du chanteur Bilal Hassani à Metz en avril. Les deux spectacles avaient été annulés. «Face au risque de violence de la part des intégristes, le maire de la commune de Carnac a décidé d’annuler le concert», avait d’ailleurs réagi la production du concert de Kali Malone dans un communiqué.
En février, le président de Civitas, Alain Escada, avait prononcé un discours à Saint-Brevin-les-Pins (Loire-Atlantique), où un projet de centre d’accueil pour demandeurs d’asile était annoncé. La mobilisation de ses militants avait conduit le maire de la commune, Yannick Morez, à démissionner et à quitter la ville, dénonçant le manque de soutien de l’État après avoir été la cible de menaces. Ses deux véhicules avaient d’ailleurs été brûlés.
Anti-mariage pour tous
La multiplication de ce type de controverses a mis au jour le mouvement, qui a longtemps été méconnu au-delà des cercles catholiques. Il faut dire que Civitas, à l’époque, se concentrait exclusivement sur la défense de l’Église et de son image. Comme en 2011, où le mouvement défilait contre la photographie Piss Christ de l’artiste américain Andres Serrano, qui disait avoir réalisé son œuvre en immergeant un crucifix en plastique dans un verre d’urine et de sang.
C’est surtout entre 2012 et 2013 qu’il se fait connaître du grand public en se mobilisant contre le mariage pour tous. «Notre objectif, c’est de mener une véritable bataille pour la sauvegarde de la famille et de l’enfant», avait déclaré Alain Escada, responsable de Civitas, lors d’une marche. «Le mariage homosexuel, c’est la boîte de Pandore qui va permettre que d’autres revendiquent le mariage polygame ou le mariage incestueux.» L’année suivante, le 26 janvier 2014, Civitas faisait partie des collectifs anti-François Hollande défilant lors du «Jour de colère», qui s’est transformé en affrontements avec les forces de l’ordre. Aux côtés de Civitas, des partisans d’Alain Soral, condamné pour antisémitisme, ou de l’humoriste Dieudonné.
En 2016, Alain Escada refait surface en co-fondant la «Coalition pour la vie et la famille», une association qui veut fédérer d’autres pays européens contre, notamment, la théorie du genre, la procréation médicalement assistée, la gestation pour autrui et le transhumanisme.
«Discours anti-maçonnique et complotiste»
Année après année, Civitas se radicalise, en devenant un parti politique pour les élections législatives de 2017 – durant lesquelles il obtiendra très peu de voix – , puis en assumant sa «guerre contre la séparation des cultes et de l’État et le mondialisme», d’après Jean-Yves Camus, directeur de l’Observatoire des radicalités politiques de la fondation Jean Jaurès, interrogé par BFMTV. Ce qui est au commencement une «organisation catholique intégriste» devient une «mouvance agrégeant à elle un discours complotiste et antimaçonnique», indique au Figaro le spécialiste du complotisme Tristan Mendès-France. Civitas a d’abord «bénéficié du moment Covid pour augmenter sa visibilité, en se rapprochant de figures covido-sceptiques comme Alexandra Henrion-Claude», mise à l’honneur en 2021 dans la revue trimestrielle de Civitas.
Les membres de Civitas, galvanisés par ce magazine qui dénonce une «plandémie satanique», selon La Croix , manifestent alors devant des vaccinodromes pour lutter contre les mesures sanitaires, comme à Paray-le-Monial (Saône-et-Loire), le 2 mai 2021. Lors de son université d’été la même année, Civitas avait pour mot d’ordre de «démasquer» la «tyrannie mondialiste», symbolisée par la «dictature sanitaire» et Alain Escada prônait, pour ce faire, la «désobéissance civile massive», d’après Charlie Hebdo . Dans des tracts distribués en Belgique, d’où est originaire Alain Escada, Civitas affirmait que les vaccins étaient en fait des injections géniques, rappelle dans un billet l’Union nationale des Associations de Défense des Familles et de l’Individu victimes de sectes (Unadfi). Puis, dans une longue vidéo datant de l’année dernière, le même Pierre Hillard, aujourd’hui à l’origine de la saillie de Gérald Darmanin, dénonçait lors d’une conférence le «nouvel ordre mondial», le QR Code, les médias traditionnels…
Dans la continuité, la revue du groupe de juin 2022 titrait sa une sur la «franc-maçonnerie, cette nuisance occulte». L’éditorial du journal, écrit par Alain Escada, «rappelle que la franc-maçonnerie est une ennemie viscérale de l’Église catholique et qu’elle poursuit inlassablement et méthodiquement son projet de détruire l’ordre chrétien en organisant le démantèlement des familles et des nations», peut-on lire.
Au regard de ces multiples controverses, Tristan Mendès France estime «tardive» cette «focalisation» sur Civitas. «La justice aurait dû s’emparer plus tôt des différents dérapages qui ont essaimé le parcours de cette organisation, qui ne cesse de grandir depuis vingt ans», continue-t-il, espérant que le ministère de l’Intérieur puisse «constituer un dossier suffisamment solide pour dissoudre Civitas». Si Gérald Darmanin y arrive, Civitas rejoindra la longue liste des groupuscules visés par une procédure de dissolution ces dernières années, à l’instar du Collectif contre l’islamophobie en France, Baraka City, Zouaves Paris, Génération Identitaire ou le Bloc Lorrain. Sollicité par l’AFP sur cette procédure de dissolution, le président de Civitas, Alain Escada, n’avait pas donné de réponse lundi soir.
Le Figaro