Conquérir Gaza, une opération israélienne risquée pour acculer le Hamas

Benjamin Netanyahu a annoncé, lundi, une nouvelle opération militaire pour « la conquête de la bande de Gaza et le contrôle des territoires ». Une décision prise après l’échec de la stratégie précédente pour éliminer le Hamas, mais qui demeure très risquée. 

Cette fois-ci, c’est assumé. Benjamin Netanyahu a annoncé, lundi 5 mai, que son gouvernement avait décidé d’une nouvelle « opération militaire musclée » dans la bande de Gaza pour en finir avec le Hamas. Et les forces israéliennes « n’interviendront pas pour ensuite se retirer », a ajouté le Premier ministre israélien.

Autrement dit, « c’est un changement majeur d’approche militaire pour l’armée à Gaza », assure Veronika Poniscjakova, spécialiste des aspects militaires du conflit israélo-palestinien à l’université de Portsmouth, en Grande-Bretagne. Jusqu’à présent, les troupes israéliennes « nettoyaient » une zone puis passaient à la suivante sans rester. Le but était de poursuivre sans relâche les combattants du Hamas pour en éliminer le plus grand nombre, tout en détruisant leurs infrastructures afin de priver ceux qui restaient de toute capacité de représenter une menace pour Israël.

Netanyahu « dans une impasse » militaire

Mais « ça n’a pas marché et le Hamas a toujours réussi à réinvestir les zones que l’armée israélienne avait quittées, tout en continuant à représenter une menace », ajoute Veronika Poniscjakova.

Conséquence : Benjamin Netanyahu « se retrouve dans une sorte d’impasse. S’entêter comme avant ne fonctionne pas, mais il ne peut pas ordonner le retrait de Gaza car ses alliés d’extrême droite au gouvernement ne l’accepteraient pas, mettant en péril sa coalition. Il doit donc essayer une nouvelle approche qui consiste à occuper les territoires contrôlés pour une durée indéterminée », explique Ahron Bregman, politologue et spécialiste du conflit israélo-palestinien au King’s College de Londres.

C’est ainsi qu’il a fait adopter, lundi, par son cabinet de guerre cette nouvelle opération baptisée « les Chariots de Gédéon ».

Plus d’un an et demi après les attentats du 7 octobre sur le sol israélien, les autorités israéliennes « reconnaissent officiellement que si le but est la destruction du Hamas, il faut rester sur place », résume Steven Wagner, spécialiste du conflit israélo-palestinien à l’université de Brunel, à Londres. Un sacré désaveu de la stratégie poursuivie jusqu’à présent.

Mais il n’est surtout pas évident pour les autorités israéliennes d’assumer cette intensification de la guerre à Gaza car elle réveille le souvenir de la période d’occupation directe de ce territoire palestinien qu’elle a quitté en 2005. Une politique impopulaire en Israël à laquelle le Premier ministre de l’époque, Ariel Sharon, avait mis un terme.

Benjamin Netanyahu peut espérer ne pas avoir à recourir à l’occupation militaire. « Il peut vouloir utiliser ce nouveau plan comme moyen de pression sur le Hamas [pour négocier avec les États-Unis, NDLR] », estime Veronika Poniscjakova.

Miser sur la diplomatie trumpienne ?

En effet, « le Hamas a clairement fait savoir qu’il ne voyait aucun intérêt à négocier avec l’État hébreu pour l’instant », souligne Veronika Poniscjakova.

Ce n’est donc pas un hasard si Benjamin Netanyahu a assuré que son nouveau plan de guerre ne serait pas appliqué avant la tournée des pays du Golfe du président nord-américain, prévue du 13 au 16 mai.

Donald Trump peut brandir la menace d’une intensification de l’offensive israélienne à Gaza pour suggérer à ses interlocuteurs de faire pression sur le Hamas. « À ce titre, la visite du président américain au Qatar est particulièrement importante en raison des liens entre l’émirat et les responsables du mouvement islamiste palestinien« , précise Veronika Poniscjakova.

Mais si la diplomatie trumpienne fait pschitt, Benjamin Netanyahu a-t-il les moyens de mener l’opération Chariots de Gidéon à bien ? L’idée d’une occupation à plus ou moins long terme de la bande de Gaza par Israël était considérée comme militairement, et économiquement peu réaliste.

« La situation a changé à deux égards pour le gouvernement israélien : il pense qu’après la première campagne militaire contre le Hamas, l’armée n’a plus besoin d’autant de soldats pour assurer la sécurité des zones contrôlées, et le gouvernement estime peut-être aussi que le Liban est réellement en train de penser à affaiblir le Hezbollah, ce qui permettrait de redéployer une partie des forces stationner pour l’instant au Nord », analyse Steven Wagner. En effet, les autorités libanaises ont annoncé leur intention de désarmer les groupes combattants palestiniens qui opèrent depuis son territoire, et les médias israéliens se demandent si le Hezbollah va subir le même sort.

Les 1001 dangers de l’occupation militaire de la bande de Gaza

« En théorie, ce plan israélien peut en effet représenter une vraie menace pour le Hamas », reconnaît Veronika Poniscjakova. D’abord, parce qu’une occupation prolongée priverait effectivement les combattants palestiniens d’options de repli. Ensuite, parce que cette opération comporte aussi un volet « humain » spécifique : le regroupement de toute la population de la bande de Gaza au sud de l’enclave et l’envoi, sous surveillance israélienne, d’aides humanitaires directement à la population. « L’idée est de démontrer aux Palestiniens qu’ils n’ont besoin du Hamas en rien », résume Veronika Poniscjakova.

Mais en pratique, rien ne garantit que ce plan se déroulera sans accroc. À commencer « par le moral des forces armées et surtout des réservistes », assure Veronika Poniscjakova. Le gouvernement a appelé, dimanche, des milliers de réservistes en renfort, « mais la fatigue de la guerre a fait qu’une partie d’entre eux sont très réticents à y aller », note l’experte. Certains ont déjà refusé d’aller se battre à Gaza, ce qui a donné lieu à une fronde inédite de réservistes

Ils feront face au Hamas, une organisation « qui a démontré que même affaiblie, elle restait motivée à se battre jusqu’au bout et ne négociera que si l’armée israélienne se retire de la bande de Gaza », souligne Arhon Bregman.

Pour lui, il en va aussi de la sécurité des otages. « Sous la pression de l’armée israélienne, les geôliers pourraient très bien fuir et abandonner les otages dans les tunnels sans moyen de subsistance », estime Ahron Bregman.

L’intensification de l’opération militaire israélienne à Gaza risque aussi de coûter très cher à la population palestinienne déjà dûrement affectée par cette guerre. « C’est l’assurance pour eux de subir de nouveaux bombardements intensifs et, pour des milliers, d’être déplacés de force », affirme Ahron Bregman. Le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, n’a pas caché que, pour lui, le but de cette opération était de « détruire entièrement Gaza » afin de pousser la population « à partir en masse vers des pays tiers ».

« Le gouvernement israélien n’a jamais été très subtil pour dissimuler qu’il verrait bien la population palestinienne être déplacée loin de Gaza vers d’autres pays », note Steven Wagner. Autrement dit, une occupation israélienne à long terme serait probablement accueillie par une intensification des opérations de guérilla urbaine d’une population qui n’a aucune envie d’être déplacée de force.

Il y a aussi les élections législatives prévues en octobre 2026. « Aucun parti ne voudra avoir à gérer une occupation de la bande de Gaza à ce moment-là, car c’est un handicap électoral très fort », assure Veronika Poniscjakova.

Mais si Israël se lance dans cette opération, impossible de prédire si l’armée aura quitté le territoire d’ici octobre 2026. Le risque serait, comme le souligne le quotidien israélien Haaretz, la création d’une « situation à l’irakienne », c’est-à-dire où Israël se retrouverait, un peu comme les États-Unis après la guerre en Irak en 2003, obligé de maintenir sa présence militaire sur place sous peine de voir le pays sombrer encore plus dans le chaos.

France 24

F. Achouri

Sociologue et consultante en développement des ressources humaines.

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