Deux policiers soupçonnés de radicalisation désarmés après la tuerie à la préfecture

En poste en région parisienne, ils sont soupçonnés de radicalisation. La psychose gagne les rangs policiers.

C’est l’une des répliques de l’affaire Mickaël Harpon. Après le traumatisme provoqué par l’absence de détection du tueur de la préfecture de police de Paris (PP), une certaine psychose gagne les rangs des policiers : et si d’autres collègues en poste cachaient leur radicalisation pour passer à l’acte le moment propice? Une interrogation qui peut vite tourner à la paranoïa. Selon nos informations, les signalements se multiplient depuis l’attentat et deux policiers de la région parisienne ont d’ores et déjà été « désarmés ». L’un d’eux a été suspendu à titre provisoire.

C’est que la préfecture de police, frappée au sein de son sanctuaire de la direction du renseignement, a haussé le ton. Dans une note du 7 octobre, Didier Lallement, le préfet de police, appelle les directeurs de service « à signaler immédiatement à [leur] hiérarchie les signes d’une possible radicalisation d’un agent ». Et de citer comme indices : « les changements vestimentaires et alimentaires, le refus de serrer la main du personnel féminin, un repli sur soi, le rejet de l’autorité »… « Cette note a mis le feu aux poudres, témoigne un policier parisien. À la DOPC, une des directions de la PP, des policiers ont voulu signaler un gardien de la paix car il ne faisait plus la bise aux filles alors qu’il n’est pas même pas musulman. C’était plus de la misogynie. »

Suspendu « par principe de précaution »

Deux cas ont déjà fait l’objet d’un processus disciplinaire. De sources concordantes, il s’agit d’abord d’un capitaine de police affecté à la brigade d’exécution des décisions de justice, un service de la PJ parisienne chargée de traquer les fugitifs. Âgé de 39 ans, ce chef de groupe a été prié de rendre son arme de service ce jeudi matin et a été suspendu « par principe de précaution ». Le comportement de cet officier avait été signalé dès 2011 après qu’il a contracté un mariage avec une avocate de confession musulmane. Selon ses collègues, il s’ostracise, se laisse pousser la barbe, refuse tout contact avec le personnel féminin et s’épanche de plus en plus sur la religion. Il s’adonne aussi à la prière au bureau.

Une enquête administrative et de sécurité est alors diligentée par l’Inspection générale de la police nationale et la Direction du renseignement de la PP. Celle-ci conclut que l’agent est certes religieux, mais pas radicalisé. En 2018, le policier est transféré sur un poste moins opérationnel mais néanmoins sensible : il a en charge le Fijait, le fichier qui recense les auteurs d’infractions terroristes. Plus aucune alerte n’est émise. Au contraire, le fonctionnaire, séparé depuis de son épouse, s’est rasé la barbe et ne semble plus aussi isolé. Mais à la lumière de la tuerie de la PP, ses collègues s’inquiètent d’une possible « taqiya », une technique de dissimulation prônée par les islamistes, et le signalent. Les autorités préfèrent jouer la prudence. Sa suspension laisse dubitative certains policiers, d’autant que ses méthodes de management jugées trop rudes avaient été critiquées en interne. C’est sur son cas qu’a été interrogé Christophe Castaner, ce jeudi matin, par la commission des lois du Sénat.

Le second policier désarmé cette semaine est un gardien de la paix en poste au commissariat de Villeneuve-la-Garenne (Hauts-de-Seine). Il n’a pas été suspendu à ce stade. Âgé de 34 ans, ce converti avait déjà été révoqué de la police en septembre 2018, une sanction contestée et annulée en début d’année par le tribunal administratif. Son comportement avait été jugé prosélyte et sectaire : il incitait les jeunes adjoints de sécurité à faire la prière et refusait les contacts avec les femmes. Il avait par ailleurs croisé l’auteur de l’attaque contre des militaires de l’opération Sentinelle à Levallois-Perret en 2017 et avait prêté son arme et son badge police à un ami du terroriste à l’occasion d’une photo. Ce qui lui a valu d’être entendu comme témoin à la sous-direction antiterroriste.

« C’était une photo qui devait rester dans un cadre personnel. J’ai fait une bêtise, je ne voyais pas le mal sur l’instant », a déclaré le jeune policier à l’IGPN en décembre 2017, expliquant n’avoir « aucun lien » avec le terroriste. Quant à son attitude avec les collègues féminines, il a expliqué que c’était « par pudeur » car il s’était marié. Ses discussions sur l’islam ? « Elles étaient souvent liées à l’actualité. »

« Personne n’a été formé »

Comme après chaque attentat, une hausse des appels a été enregistrée sur le numéro vert pour signaler un proche radicalisé (CNAPR). Mais, fait nouveau lié à la tuerie la PP, des signalements de fonctionnaires ont aussi été observés. « La vigilance doit s’appliquer et il est nécessaire de détecter les effectifs radicalisés. Mais il faut le faire avec sans-froid, rigueur, sans tomber dans la chasse aux sorcières », prévient Christophe Rouget, secrétaire général adjoint du syndicat des cadres de la sécurité intérieure.

« Le problème, ajoute David Le Bars, secrétaire général des commissaires de la police nationale, c’est que personne n’a été formé aux signes de la radicalisation et on manque de connaissance sur l’islam. Il y a un risque de signalements intempestifs mais au moins on y verra plus clair. »

Le Parisien

Fatima Achouri

Sociologue spécialiste de l’islam contemporain.

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