Divines applis : Dieu en ligne directe

S’adresser à Dieu grâce à son téléphone portable, c’est ce que proposent de nombreuses applications mobiles. Toutes les religions se sont lancées dans la e-spiritualité. Une nouvelle façon de prier ou de méditer qui n’a rien d’éphémère.

Uber fait des petits… Géoconfess, qui se présente comme le Uber de la confession, devrait apparaître mi-novembre sur les différentes boutiques en ligne d’applications mobiles. L’idée est simple mais inédite : mettre en relation un pénitent et un prêtre grâce la géolocalisation. Si la confession devient possible tout de suite et partout, pourquoi ne pas se confesser directement sur son téléphone mobile ? « Non, répond Isabelle Jonveaux, sociologue des religions, chercheuse à l’université de Gratz (Autriche). Pour les sacrements, les catholiques imposent une présence physique. Mais sinon, pratiquement toutes les utilisations du virtuel sont possibles. Des prières envoyées par SMS peuvent être déposées par un rabbin sur le Mur des lamentations. »

Le nombre d’applications mobiles liées à la religion, ainsi qu’à la méditation laïque, est en pleine croissance. Ce phénomène peut surprendre, tant les outils numériques incarnent notre société de consommation, le zapping d’une tâche à une autre, et donc l’éloignement d’une forme d’intimité avec le sacré ou avec soi-même. Pourtant, « le mouvement a pris de l’ampleur à partir de 2008 dans les religions anglo-saxonnes, indique Christophe Deshayes, auteur d’une étude pour le ministère de l’Économie sur le thème « Bien vivre grâce au numérique ». Elles voulaient développer le côté communautariste et protéger leurs enfants d’Internet en créant leurs propres outils ».

Depuis, toutes les religions ont créé des applications répondants aux besoins de leurs fidèles. «Concernant le judaïsme et l’islam, les applications servent surtout à rappeler les règles et à aider à leur interprétation, indique David Douyère, professeur en sciences de l’information et de la communication à l’université de Tours et spécialiste des religions.C’est logique pour ces religions qui ont maintenu des obligations rituelles que le fidèle doit suivre dans son quotidien. Chez les chrétiens, les applications sont davantage tournées vers la prière.»

De nouvelles images pieuses

Loin d’un éphémère mouvement de mode, ces outils numériques s’inscrivent en fait dans une forme de tradition. «Les applications jouent le rôle des images de piété apparues au XIVe siècle», suggère David Douyère. Elles ont deux caractéristiques communes : elles sont portables et relèvent de l’intime puisque le téléphone contient toute notre vie. Les religions ont en effet toujours eu besoin d’un ancrage matériel, qui a changé au fil de l’évolution des techniques. Et en matière de nouvelles technologies,« les Églises n’ont jamais été en retard, précise Isabelle Jonveaux. Elles donnent une impression d’archaïsme, mais en fait, elles ont très rapidement utilisé l’imprimerie, la télévision… »

Aujourd’hui, les applications mobiles sont clairement des gages de modernité. Au Mouvement eucharistique des jeunes (MEJ), promouvoir Click To Pray, l’application officielle du Réseau Mondial de Prière du Pape, était une évidence. « Nous n’avons pas le choix si nous voulons que la jeune génération se sente concernée », souligne Marion de Marcellus, ex-directrice.

Les institutions religieuses ont d’autres motivations : ramener les fidèles vers la congrégation à l’heure où apparaissent de véritables églises numériques. Or, pour animer une communauté, les réseaux sociaux et les applications sont des outils particulièrement adaptés à l’heure de la désertification des églises et du vieillissement des prêtres. « Les applications ont le gros mérite de rendre visible une communauté », insiste David Douyère. Click To Pray affiche noir sur blanc le nombre de personnes qui prient en même temps. Mais l’élément qui pousse le plus les institutions à investir les stores Apple et Androïd est sans aucun doute la volonté d’évangélisation.

Cependant, le succès des applications (plus de 90 000 téléchargements pour Click To Pray) montre qu’elles répondent à des besoins d’ordre spirituel, mais aussi pratique des utilisateurs. Comme l’écrit Jean-François Barbier-Bouvet, « les nouveaux aventuriers de la spiritualité »* nourrissent une certaine « méfiance vis-à-vis de toute médiation, surtout si elle est institutionnelle : une Église, pas plus qu’une organisation politique ou sociétale, n’a pas à interférer dans ce qui est de l’ordre du personnel et du fondamental ; beaucoup considèrent qu’ils peuvent faire l’économie de l’institution et de ses dogmes au profit, sinon d’une “ligne directe” avec Dieu, du moins de ce qu’on pourrait appeler une autospiritualité ». Or, de nombreuses applis sont conçues par des laïcs et certaines jouent sur ce besoin de lien direct avec le divin. Des start-up ont développé des algorithmes permettant de choisir une phrase de la Bible. Le but est de donner le sentiment qu’il s’agit d’un message de Dieu rien que pour soi.

Le prêt-à-prier

Les fidèles sont de plus en plus nombreux à faire du « hors piste », comme l’écrit Jean-François Barbier-Bouvet. Ils ont donc besoin d’être guidés. Les applications proposent ainsi le « kit » complet, une sorte de « prêt-à-prier », selon l’expression de David Douyère.

Un guide d’autant plus utile quand une personne s’initie à une nouvelle religion. Car, parmi les «nouveaux aventuriers de la spiritualité», beaucoup sont chrétiens, ce qui ne les empêche pas de s’intéresser de près au bouddhisme. Pour ceux qui s’aventurent sur des terres inconnues, comme celle de la méditation de pleine conscience, ce guide virtuel prend tout son sens. Réticents à s’inscrire dans un groupe, ils franchissent le premier pas grâce à une application. «Ils réalisent que pour méditer, il est inutile de grimper en haut d’une montagne et de faire brûler de l’encens», ironise Benjamin Blasco, co-fondateur du site Petit Bambou. Dans le métro, dans la salle d’attente du médecin, méditer ou prier devient possible. Ancrer cette pratique dans le quotidien, c’est l’atout des applications mobiles.

Bien sûr, « certains religieux ne comprennent pas que l’on puisse prier comme cela. Le numérique les agresse », reconnaît Marion de Marcellus. Ce n’est d’ailleurs pas forcément une question de génération : l’utilisateur type du site Notre Dame du Web a entre 50 et 70 ans. À l’inverse, certains cyberpratiquants « considèrent ces dispositifs comme des vecteurs de ralentissement numérique », souligne David Douyère. Utiliser son portable pour prier ou méditer implique de se ménager quelques minutes de silence, de se couper de toutes sollicitations extérieures – et notamment venues de son téléphone…

Cependant, « il ne faut pas attendre que l’illumination vienne de son portable », ironise David Douyère. Même les plus technophiles le reconnaissent, une application mobile ne se suffit pas à elle seule. Pour les Ignatiens de Notre Dame du Web, elle soumet des documents (textes sacrés, œuvres d’art, etc) qui permettent d’interroger sa foi, de la mettre en résonance avec sa vie et prépare donc au dialogue avec Dieu.« Mais, pour ce dialogue intérieur, on est seul, explique Grégoire Le Bel, responsable des propositions spirituelles en ligne des jésuites. Et une appli ne permet pas de faire ce que nous appelons la relecture. » Cet examen général du soir exige en effet la présence d’un prêtre ou d’un laïc formé à cet accompagnement.

« Où je veux, quand je veux »

Les applications consacrées à la méditation se heurtent à la même limite. Arriver à faire le calme en soi, à se recentrer sur l’instant présent, c’est possible. Mais la méditation offre aussi une meilleure connaissance de soi-même. « Pour y parvenir, souligne Christophe Miquel, formateur MBSR (Mindfulness Based Stress Reduction – réduction du stress basée sur la pleine conscience), l’échange est nécessaire, c’est une forme de maïeutique qui est impossible avec un téléphone portable. » C’est pourquoi les applications mobiles servent souvent à s’initier ou à compléter une pratique.

Ni diabolisés, ni encensés, ces outils trouvent donc peu à peu leur place chez les religieux comme chez les laïcs. Ils suscitent intérêt, mais aussi vigilance. Pouvoir prier ou méditer cinq petites minutes à tout moment laisse penser que « c’est quand je veux, où je veux ». Or, la méditation, comme la prière, nécessite une pratique régulière et rigoureuse. « Les applications pourraient valoriser le seul sentiment de bien-être, craint Christophe Miquel. La méditation n’est pas un simple exercice de relaxation. »
Souvent conçues sur le mode ludique, ces applications sont-elles l’outil idéal pour se mettre dans l’état d’esprit de la prière ?, s’interrogent d’autres experts. Les institutions religieuses considérant qu’il n’existe pas une façon unique de prier, il revient donc sans doute à chacun de répondre à cette question. Quoi qu’il en soit, d’après l’enquête de Jean-François Barbier-Bouvet, « les nouveaux aventuriers de la spiritualité » éprouvent « un besoin de rééquilibrage personnel par rapport à l’air du temps (…). Il ne débouche généralement ni sur une démarche réactionnaire, ni sur une démarche résistante, mais sur une acceptation assumée de la modernité (vivre avec mais autrement) ». En clair, l’antidote peut être dans le poison.

 

Le Monde des Religions

Fatima Achouri

Sociologue spécialiste de l’islam contemporain.

Nos services s'adressent aux organisations publiques ( Loi de 1905) et aux organisations privées.

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