D’une manière générale, la tradition allemande de coopération entre État et religions permet la résolution des quelques conflits nés de la pratique musulmane dans le cadre scolaire.
La Croix : Le port du foulard musulman par des collégiennes ou lycéennes a-t-il posé problème en Allemagne ?
Janine Ziegler : Le port du foulard à l’école par les élèves n’a quasiment jamais posé de problème en Allemagne, sauf dans quelques cas très rares de dissimulation du visage. Une fois, un directeur « engagé » a décidé d’interdire le voile dans son établissement mais cette interdiction a ensuite été annulée.
D’une manière générale, notre pays a une tradition de beaucoup plus grande compréhension et coopération dans les relations entre l’État et les religions. Sans doute aussi la nécessité de préserver la liberté religieuse a-t-elle conduit les Länder (qui ont la compétence scolaire) à ne pas interdire le voile aux élèves.
L’interdiction, qui prévaut dans une moitié environ d’entre eux, ne concerne que les enseignantes. Les premières législations sont apparues autour de 2004, au même moment à peu près que la loi française sur les signes religieux, et font apparaître des argumentations différentes selon qu’il s’agit de Länder du sud, majoritairement catholiques, ou du nord.
Ainsi le Bade-Wurtemberg, la Hesse, la Rhénanie du Nord, la Sarre et la Bavière mentionnent « les racines chrétiennes et occidentales des valeurs qui doivent être enseignées ». Ce qui permet de penser qu’une religieuse voilée qui dispenserait un cours ne serait pas forcément obligée d’enlever son voile…
Mais globalement, la raison de ces interdictions est la même qu’en France : la personne qui enseigne doit être neutre, et comme on ne peut pas distinguer la symbolique religieuse de la symbolique politique, alors mieux vaut l’interdire.
D’autres questions religieuses et/ou identitaires se posent-elles comme la revendication de repas halal, la dispense de courts de sport ou la contestation de certains enseignements ?
J.Z. : Quelques débats de ce type ont éclaté dans des cas très limités, parfois portés devant les tribunaux. Ainsi, un tribunal administratif fédéral a-t-il estimé que le port du burkini en cours de natation (NDLR : maillot de bain couvrant bras et jambes) pouvait être exigé par les élèves, mais que, de ce fait, ils ne pouvaient demander à être exemptés.
Les demandes de nourriture halal à la cantine sont peu nombreuses, sans doute aussi parce qu’en général, en Allemagne, les élèves n’ont pas cours toute la journée. Et puis, les menus végétariens ou sans viande de porc sont fréquents. Mais les Allemands acceptent plutôt bien l’idée que, si les musulmans ne veulent pas manger tel aliment, on doit leur proposer autre chose.
L’année dernière, une décision d’un juge de Berlin a été commentée dans les journaux, après qu’un établissement scolaire a refusé de fournir une salle inoccupée à un élève pour qu’il puisse y prier. Selon le tribunal, une école peut légitimement prendre cette décision au nom de l’égalité de traitement entre les religions, mais ce n’est pas une obligation pour elle.
Enfin, quelques cas de jeunes filles qui ne pouvaient pas participer à des voyages scolaires sans être accompagnées par un membre de leur famille ont fait l’objet de débats. Généralement, une solution est trouvée, et l’établissement invite un membre de leur famille.
La tradition allemande de coopération entre l’État et les religions explique-t-elle cette capacité à faire des compromis ?
J. Z. : Effectivement, dans tous ces cas, l’élève est au cœur de l’argumentation. On pense que la jeune fille en question n’est pas toujours libre de sa décision et qu’il faut donc la protéger. En France, on protège par l’interdiction, en Allemagne par le compromis.
Et puis dans certains Länder très industriels, comme la Rhénanie du Nord, les musulmans sont nombreux dans les classes et l’islam est de toute façon visible. Ceux qui défendaient le voile même pour les enseignantes mettaient d’ailleurs en avant l’intérêt qu’il y aurait à accepter aussi cette visibilité dans le corps professoral…
Pour nous aussi, l’école doit être neutre. Mais il y a cette tradition allemande d’interpréter la neutralité autrement : par l’importance primordiale de la liberté religieuse de la personne et par la reconnaissance du rôle des religions.
L’islam a-t-il le même statut que les autres religions historiques en Allemagne ?
J. Z. : Le problème est que la communauté musulmane ne remplit pas actuellement les conditions juridiques pour obtenir la même reconnaissance par l’État (sous forme de « corporation de droit public ») que les Églises catholique et protestante, la communauté juive ou même alévie dans certains Länder.
Lorsqu’une religion reçoit ce statut de l’État, elle a droit à différents avantages : cours de religion à l’école, facultés de théologie à l’université, place dans les médias publics, ou encore droit de percevoir un « impôt d’Église » prélevé par l’État.
Mais pour cela, l’État veut un interlocuteur unique, ce qui est très difficile pour la communauté musulmane fragmentée entre fédérations par pays d’origine (Turquie, Maroc etc), et entre courants (sunnites, chiites, etc). Le Conseil de coordination des musulmans (KRM), créé en 2007 par la réunion de plusieurs fédérations, est très éclaté.
En attendant, beaucoup de tentatives sont faites pour mettre en place des cours de religion, des facultés de théologie. Dans la ville-État de Hambourg, un contrat de coopération officiel a été signé entre la municipalité et trois associations musulmanes. Mais ce modèle est plus difficile à appliquer dans des Länder plus peuplés où l’islam est plus divisé. Et pour le moment, tout cela reste dans une zone grise.
La Croix