Le principe du financement obligatoire des Églises catholique et protestante par les fidèles est régulièrement remis en cause outre-Rhin.
Il est à l’origine, plus ou moins directement, du phénomène des « sorties d’Églises » qui s’est amplifié l’an dernier.
Sebastian Moll a quitté l’Église protestante il y a trois ans. « En guise de protestation », dit cet homme de 34 ans, théologien de formation. L’objet de sa colère est un impôt (Kirchensteuer en allemand) prélevé par l’État, auquel sont soumis en Allemagne, les membres de l’Église protestante ou catholique, et qui correspond à 9 % de l’impôt sur le revenu (8 % dans certaines régions).
Sebastian Moll s’est depuis tourné vers l’Église méthodiste, qui fait partie outre-Rhin des « Églises libres », non financées par la taxation. « Je donne plus à ma paroisse que je ne payais auparavant, remarque-t-il. Mais j’en décide librement. Ce qui me posait problème, c’était le principe de l’impôt. »
Combien, comme lui, font ce choix radical pour échapper à une contribution qu’ils jugent inopportune ou trop onéreuse ? Peu, veut croire l’Église protestante en Allemagne (EKD, communauté de 20 églises luthériennes, réformées et unies). « Tout au plus, ça peut être l’élément déclencheur pour des individus qui se sont éloignés de l’Église depuis longtemps », concède Thomas Begrich, chargé des finances à l’EKD.
La Conférence épiscopale allemande (DBK) refuse de se prononcer sur la question. De fait, aucune statistique n’est disponible, car pour être rayé des registres des croyants, en Allemagne, il suffit de se rendre au bureau de l’état civil ou au tribunal d’instance, selon la région. C’est un acte purement administratif qui ne nécessite aucune justification.
L’an dernier, les Églises auraient enregistré une vague de départs hors du commun (lire ci-dessous : Repères). La faute, semble-t-il, à un nouveau mode de recouvrement de l’impôt ecclésiastique relatif au rendement du capital – assimilé à un revenu, donc soumis à cet impôt. Automatisée, la procédure ne laisse plus aucune chance au contribuable d’y échapper.
« Une certaine exaspération est palpable, souligne Christian Weisner, membre de l’équipe dirigeante du mouvement catholique réformiste « Nous sommes l’Église » en Allemagne. « Les chrétiens ont l’impression que leur argent est la cible de banques et d’Églises liguées entre elles. »
Lourdes conséquences de la sortie de l’Église
Les conséquences d’une « sortie » de l’Église catholique sont inscrites dans un « décret général » de la DBK, entré en vigueur le 24 septembre 2012 et approuvé par la Congrégation pour la doctrine de la foi à Rome : exclusion des sacrements, de toute fonction au sein de l’Église, du statut de parrain ou de marraine, pas d’accès à une cérémonie funéraire, droit restreint à une cérémonie de mariage.
C’est aussi un motif de licenciement selon le droit du travail de l’Église catholique en Allemagne, qui concerne par exemple les salariés de Caritas.
L’Église protestante prévoit sensiblement les mêmes mesures. La justice allemande n’y trouve rien à redire. En 2012, le Tribunal administratif fédéral a rejeté la requête du catholique Hartmut Zapp, qui demandait à conserver ces droits sans payer l’impôt.
Dans la pratique néanmoins, une certaine souplesse existe. « Une lettre est adressée au sortant, qui détaille de façon nuancée ce que signifie sa démarche et l’invite au dialogue, avec pour objectif qu’il retrouve le plein exercice de ses droits et de ses devoirs », explique la DBK, qui précise que « toute personne baptisée reste membre de la communauté des croyants. Chaque évêché la met en œuvre comme il l’entend ».
« Incompatible avec l’Évangile »
L’EKD souligne de son côté que « chaque pasteur dispose d’une marge de manœuvre dans sa paroisse ». C’est ainsi que l’an dernier, Jochen Teuffel a vu refusée sa « demande de procédure disciplinaire » contre lui-même. Dans sa paroisse de 2 200 fidèles à Vöhringen, le pasteur luthérien avait offert la communion à une femme ne payant plus l’impôt, en contradiction avec des directives adoptées par l’Église évangélique luthérienne de Bavière en 2005.
« Ces directives n’interdisent pas qu’au cas par cas, pour des raisons pastorales, les pasteurs invitent à la communion, a justifié l’Église régionale. Au contraire, elles énoncent : ”Cette démarche n’annule pas l’appartenance à la communauté des croyants qui est fondée sur le baptême. Il est donc important que les services de l’Église conservent un lien avec la personne et l’invitent à revenir sur sa décision”. »
Jochen Teuffel n’en reste pas moins un opposant farouche à cet impôt qu’il juge « incompatible avec l’Évangile ». « Dieu accueille tout le monde, souligne-t-il. L’accès à la communion ne peut être conditionné au paiement d’une cotisation. » Il estime aussi qu’« une contribution obligatoire met à mal la relation fraternelle ».
L’impôt est de loin la première source de revenu des Églises catholique et protestante. Il leur a rapporté respectivement 5,5 et 5 milliards d’euros en 2013. « Si je bénéficie des services rendus par l’Église, il est normal que je participe à son financement », remarque Thomas Begrich. Il y voit un système « très équitable ». « Chacun paie selon ses revenus, la redistribution prévient la paupérisation des paroisses les plus faibles, et il n’y a pas de relation d’argent directe entre les fidèles et leur paroisse. »
Ses défenseurs font aussi valoir que les plus modestes, qui ne paient pas d’impôt sur le revenu, ne sont pas concernés, tandis qu’un système est prévu pour ne pas accabler les plus aisés. Ils ajoutent qu’il s’agit plutôt d’un don, dans la mesure où son montant est déductible des impôts.
Repères : Une communauté chrétienne en perte de vitesse
Selon des estimations non officielles, plus de 200 000 personnes auraient quitté l’Église catholique en 2014. Elles seraient encore plus nombreuses côté protestant.
178 800 catholiques ont quitté l’Église en 2013. Ils étaient 118 300 en 2012, 126 500 en 2011, 181 200 en 2010, juste après les révélations sur les abus sexuels.
150 000 fidèles ont quitté l’Église protestante en 2013, 138 200 en 2012, 141 500 en 2011, 145 200 en 2010.
Si le phénomène n’est pas nouveau, il pourrait devenir un problème pour les Églises. Entre 2003 et 2013, l’Église catholique a perdu 8 % de ses fidèles et l’Église protestante, près de 10 %.
La Croix