En Autriche, un projet controversé de loi sur l’islam

L’Autriche a déposé un projet de loi interdisant le financement étranger des mosquées sur son sol et introduisant une version standardisée du Coran en langue allemande. Des propositions qui passent mal.

 

Femmes voilées devant le premier cimetière musulman autrichien © SAMUEL KUBANI / AFP  Le 2 octobre dernier, le ministre des Affaires étrangères, Sebastian Kurz, a appelé à la “publication d’une version standardisée du Coran en langue allemande et a déposé un projet de loi interdisant le financement étranger des organisations islamiques” en Autriche, dans le but de “lutter contre l’extrémisme islamique”, indique Reuters (en anglais). À cette occasion, le ministre autrichien des Affaires étrangères, également responsable de la politique d’intégration, déclarait : “Le message doit être clair qu’on peut être à la fois un musulman pratiquant et un fier Autrichien.”

En l’absence d’une réglementation ordonnée, il y a toujours un danger d’irruption de l’extrémisme. En ce sens, cela fait partie des mesures préventives”, a précisé le ministre, membre du Parti populaire autrichien (droite), ajoutant que la charia “n’a pas sa place ici”.

Interdiction des fonds étrangers

Le plus jeune ministre de l’histoire de l’Autriche, s’apprête à “dépoussiérer une loi vieille de plus d’un siècle”, analyse le quotidien suisse Le Temps. En 1912, peu après l’intégration de la Bosnie-Herzégovine à l’Empire austro-hongrois, l’Autriche est devenue le premier pays d’Europe occidentale à accorder un statut à l’islam et à légiférer pour protéger la liberté religieuse de ses pratiquants. En 1979, la Communauté des musulmans d’Autriche est fondée et, trois ans plus tard, elle est autorisée à enseigner l’islam dans les écoles publiques. Aujourd’hui, la communauté musulmane autrichienne compte quelque 500.000 fidèles qui représentent environ 6 % de la population en grande majorité catholique.

La nouvelle loi prévoit d’interdire les financements des communautés et des associations religieuses par des fonds étrangers. Une mesure qui concerne également les imams. Sur les quelque 300 présents en Autriche, 65 sont rémunérés par la Turquie. Ainsi, analyse Libération, “si les réformes sont adoptées, au 1er janvier, les imams et les mosquées d’Autriche ne pourront plus recevoir d’argent de source étrangère. La propagande en faveur de l’État islamique sera également interdite. Et les responsables religieux habilités à enseigner devront le faire exclusivement en allemand.” Dans la presse autrichienne, les juristes se demandent “si une telle loi serait constitutionnelle”, détaille Le Temps, d’autant qu’il n’est “prévu d’appliquer cette mesure qu’à un seul groupe religieux”.

Une traduction officielle du Coran

En plus de ces nouvelles mesures, Sebastian Kurz a annoncé fin septembre qu’il souhaitait créer une traduction officielle et uniforme du Coran en langue allemande, afin d’éviter les “mauvaises interprétations”, en particulier celles pouvant “promouvoir l’extrémisme”. La communauté musulmane d’Autriche proposera une version officielle fondée sur une traduction “expurgée”, qui sera intégrée à la loi de 1912, précise le site Fait-religieux.

La Communauté des musulmans d’Autriche (IGGIÖ), si elle se montre “globalment satisfaite” de la conception de la nouvelle loi,  demande (en allemand) des “précisions nécessaires”. Pour Carla Amina Baghajati, porte-parole de la Communauté, il est “très difficile de définir une version du Coran, parce que les mots arabes comportent souvent un large éventail de significations”, relate (en allemand) le site Salzburg24. Elle estime que “dans son contenu, cette loi reflète l’esprit de défiance et de suspicion généralisée qui règne envers les musulmans, en Autriche, et ailleurs en Europe. Si une version du Coran en allemand se présente comme codifiée, et comme une ultime version, alors ce sera en contradiction avec l’auto-conception de l’islam”. Elle a cependant annoncé qu’il était dans l’intérêt de sa communauté de travailler sur la traduction du Coran.

“Un recul et un camouflet”

Omar Al-Rawi, qui fut chargé des questions d’intégration au sein de la principale organisation musulmane autrichienne, va plus loin. “C’est une idée absurde, s’emporte-t-il en (allemand) dans le quotidien Der Standard. Il y a des traductions qui ont une valeur philosophique ou scientifique. Certaines cherchent à rendre le texte fluide en l’interprétant, d’autres se concentrent sur la transmission du contenu. Que cherche-t-on à accomplir? A part quelques gains politiques à courte vue ?”

Pour le site Oumma.com, “il y a comme un parfum de suspicion dans l’air en Autriche” autour de ce projet de loi “sorti du chapeau”. Dans un article publié le 3 octobre, le site estime que l’extrême droite se trouve “revigorée” par “les effluves nauséabondes qui s’en dégagent”.

“C’est peu dire que le projet porté aujourd’hui par le ministre conservateur des affaires étrangères et de l’intégration est vécu comme un recul et un camouflet par les musulmans autrichiens”, résume Le Temps.

 

La Vie

Fatima Achouri

Sociologue spécialiste de l’islam contemporain.

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