Tests de grossesse, stérilisation ou avortements forcés… Une enquête menée par l’agence Associated Press montre qu’une campagne brutale de contrôle des naissances est menée au Xinjiang par les autorités chinoises à l’encontre de minorités, notamment la communauté ouïghoure, principalement musulmane, qui représente un peu moins de la moitié des 25 millions de personnes vivant dans cette région.
Sur la base de statistiques du gouvernement chinois, de documents officiels et d’entretiens effectués auprès d’anciennes détenues, ces mesures prises au cours des quatre dernières années peuvent être qualifiées de « génocide démographique », estiment des experts.
Les données collectées montrent que l’État chinois soumet les femmes de ces minorités à des tests de grossesse, les forcent à se faire poser des stérilets, à se faire stériliser ou avorter. Alors que l’utilisation de dispositifs intra-utérins et que le nombre de stérilisations ont baissé au niveau national, ils sont en augmentation dans le Xinjiang, avance AP dans son enquête publiée lundi 29 juin.
« Ils veulent nous détruire en tant que peuple »
Ces mesures de contrôle de la population sont appuyées par des menaces de détention. Les journalistes d’AP ont découvert qu’avoir « trop » d’enfants pouvait être une raison suffisante pour être envoyé dans un camp. Les parents de trois enfants ou plus sont séparés de leur famille s’ils ne sont pas capables de s’acquitter d’importantes amendes.
Après la naissance de son troisième enfant, Gulnar Omirzakh, une Kazakhe née en Chine, s’est vu ordonner par le gouvernement de porter un stérilet. Deux ans plus tard, en janvier 2018, quatre représentants des autorités vêtus de tenues militaires ont frappé à sa porte. Ils lui ont donné trois jours pour payer une amende de 2 685 dollars pour avoir eu plus de deux enfants. Ils l’ont avertie qu’en cas de refus, elle pourrait rejoindre son mari dans un camp. D’après des organisations de défense des droits humains, au moins un million de musulmans seraient internés dans ce qu’elles appellent des camps de rééducation politique.
« Empêcher les gens d’avoir des enfants n’est pas une bonne chose », estime Gulnar Omirzakh, qui a dû s’endetter pour rassembler l’argent avant de fuir vers le Kazakhstan. « Ils veulent nous détruire en tant que peuple”.
Le taux des naissances dans les districts de Hotan et de Kashgar, majoritairement ouïghours, ont plongé de 60 % entre 2015 et 2018, selon les statistiques des autorités. Les centaines de millions de dollars utilisés par le gouvernement pour contrôler les naissances ont fait passer le Xinjiang de l’un des territoires les plus dynamiques du pays démographiquement en l’un des plus faibles, en seulement quelques années.
« Cela fait partie d’une plus vaste campagne pour asservir les Ouïghours », analyse l’universitaire Adrian Zenz, spécialiste du Xinjiang et du Tibet.
Le ministère des Affaires étrangères chinois et le gouvernement du Xinjiang n’ont pas répondu aux multiples sollicitations d’AP. Pékin a cependant expliqué par le passé que ces mesures étaient justes car elles autorisent les membres de la communauté des Han, majoritaire en Chine, et ceux des minorités à avoir le même nombre d’enfants.
Lors de la période de la politique de l’enfant unique, abandonnée en 2015, les autorités ont encouragé, parfois forcé, les mesures de contraceptions, de stérilisations ou d’avortements au sein des Han, mais les minorités avaient le droit d’avoir deux enfants et même trois s’ils vivaient à la campagne.
Des stérilisations forcées
Ces dispositions ont changé depuis l’arrivée au pouvoir en 2013 du président Xi Jinping, l’un des dirigeants les plus autoritaires depuis des décennies. Peu après sa prise de fonction, le gouvernement a changé les règles du contrôle des naissances en autorisant les Han à avoir deux ou trois enfants, comme les minorités.
Même si cela peut paraître égalitaire sur le papier, dans la pratique, les Han échappent le plus souvent aux avortements, aux stérilisations, à la pose de dispositifs intra-utérin ou encore à la détention s’ils ont « trop » d’enfants, contrairement aux minorités du Xinjiang. Des membres des communautés musulmanes vivant en milieu rural comme les Omirzakh ont même été punis pour avoir eu trois enfants, alors même que cela est autorisé par la loi.
Une quinzaine de Ouïghours et de Kazakhs ont rapporté à AP qu’ils connaissent des personnes internées ou détenues pour avoir eu « trop » d’enfants. Certaines ont passé des années en prison voire des décennies. Au sein de ces camps, les femmes ont été soumises à la pose de stérilets ou à des mesures de stérilisation. En 2019, dans un reportage de France 24, Gulbahar Jalilova, une Ouïghoure de 54 ans, détenue 15 mois à Urumqi, la capitale de Xinjiang, avait déjà apporté ce même type de témoignage. « Nous devions passer la main par une petite ouverture dans la porte », avait-elle expliqué. « Nous avions vite compris qu’après les injections, les femmes n’avaient plus leurs règles ».
Une ancienne détenue, Tursunay Ziyawudun, a raconté une histoire similaire à AP. Elle a également reçu des injections qui ont entraîné l’arrêt de ses règles. Elle a par ailleurs reçu des coups à l’estomac lors d’interrogatoires. Elle ne peut désormais plus avoir d’enfants. Selon elles, les femmes du camp ont subi des examens gynécologiques et les autorités les ont averties qu’elles s’exposaient un avortement si elles tombaient enceintes.
En 2014, plus de 200 000 dispositifs intra-utérins ont été posés dans la région du Xinjiang. Quatre ans plus tard, ce chiffre avait augmenté de 60 % passant à 330 000, alors que dans le même temps, il avait baissé dans toutes les autres régions chinoises. Les statistiques gouvernementales ont aussi montré une intensification des stérilisations dans le Xinjiang.
Zumret Dawut, une Ouïghoure mère de trois enfants, a raconté qu’après sa libération d’un camp d’internement en 2018, les autorités l’ont forcé à se faire stériliser, sous peine d’être de nouveau détenue. « J’étais tellement en colère », a-t-elle témoigné. « Je voulais tellement un autre fils ».
« C’est un génocide »
Les autorités chinoises ont lancé cette campagne de contrôle des naissances parce qu’elles s’inquiètent, si la population augmente de manière exponentielle, selon AP, d’une poussée de la pauvreté et de l’extrémisme au Xinjiang, un immense territoire longtemps frappé par des attentats meurtriers, attribués par Pékin à des séparatistes et des islamistes. Mais bien que ce le programme rappelle la politique de l’enfant unique, il diffère des anciennes mesures car il vise un groupe ethnique bien particulier, soulignent les spécialistes.
« L’objectif n’est peut-être pas d’éliminer complètement la population ouïghoure, mais cela diminuera considérablement sa vitalité et permettra de l’assimiler plus facilement », analyse Darren Byler, un spécialiste des Ouïghours de l’Université du Colorado.
D’autres experts vont même plus loin. « C’est un génocide, point final », n’hésite pas à résumer Joanne Smith Finley, qui travaille à l’Université de Newcastle. « Ce n’est pas une tuerie de masse choquante et immédiate, mais c’est un génocide, lent, douloureux et progressif ».
France 24 / Associated Press