Après avoir tourné la page du Conseil français du culte musulman (CFCM), l’État, comme l’a souhaité le président de la République, ouvre un nouveau chapitre dans sa relation avec les musulmans, celui du FORIF.
C’est la mise en place de quatre groupes de travail qui a tracé les contours du nouveau format de dialogue en remplacement du CFCM. Tout un symbole tant l’on sait que le CFCM fut incapable de produire des résultats tangibles aussi bien pour les fidèles musulmans que pour l’État. Il eut parfois des travaux intéressants mais très vite torpillés par des fédérations concurrentes, accablées qu’elles étaient de ne pas prendre le lead.
Les dysfonctionnements, les luttes de pouvoir, les démissions, les fâcheries, les faux semblants de réconciliation, ont été la constance de cette malheureuse institution. Sans évoquer les guerres d’influence entre l’Algérie, le Maroc et la Turquie qui désespèrent les cadres religieux locaux (comme autrefois on pouvait désespérer Billancourt) ne se reconnaissant absolument pas dans ces enjeux identitaires et consulaires issus d’une époque révolue. Le CFCM est né en crise, a vécu en crise et, pour ne rien changer, se meurt toujours en crise. La page consulaire de l’islam de France devait se fermer quand « bien plus de la moitié des musulmans de notre pays sont des français nés en France » comme le rappelle si bien le ministre chargé des Cultes, Gérald Darmanin, au cours de son discours tenu au CESE.
Changement de logiciel
Avec le FORIF, on ose une approche disruptive dans laquelle on perçoit en filigrane l’empreinte macroniste et qui, surtout, assume pleinement sa dimension expérimentale. « C’est un essai qu’on espère concluant », nous confie le ministre en coulisse.
Le FORIF a complètement inversé la perspective. Ce n’est pas la fonction représentative qui est avant tout recherchée mais la production de solutions pratiques et réalistes visant à faciliter l’exercice cultuel des croyants. On ne part plus du national pour faire émerger des interlocuteurs. Ce sont les territoires qui sont désormais privilégier pour identifier les acteurs de bonne volonté, nommés « les constructifs ». Plus de cadre officiel et rigide mais un cadre informel et agile. L’inspiration n’est pas puisée dans un modèle français et jacobin mais dans l’expérience allemande et son modèle décentralisé. On peut d’ailleurs y voir une extension intéressante de la coopération franco-allemande qui fait sens au moment où la France tient la présidence du Conseil de l’Union européenne.
Lutte contre l’islamisme radical
Certains acteurs musulmans ont vu dans le choix de la date de l’installation du FORIF à deux mois seulement de l’élection présidentielle une initiative de la majorité pour capter les voix d’un hypothétique vote musulman. Le ministre de l’Intérieur rejette lui catégoriquement cette thèse et livre dans un aparté que « prendre une telle initiative n’est en rien un calcul politique, bien au contraire elle nous fait prendre beaucoup de coups ». Cela ne paie donc pas politiquement, rejoignant le même constat formulé par Nicolas Sarkozy au cours d’un déjeuner élyséen en décembre 2011 auquel l’auteur de ces lignes avait été convié.
Alors pourquoi le gouvernement y met tant d’énergie ? Sans doute que les dix dernières années qui ont vu couler du sang sur le sol français au nom d’un islam dévoyé l’a poussé à s’engager plus fortement dans la question pour combattre l’islamisme radical dont le désordre constitue le terreau idéal de son développement.
Vers une meilleure transparence de l’islam de France
Le ministre a laissé percevoir sa vive inquiétude sur « la montée des périls populistes, qui prétendent exclure une partie de la communauté nationale sous prétexte de leurs aspirations religieuses ». Sans manquer de désigner l’islamisme et le salafisme comme étant notre ennemi commun. Pour les combattre, il faut faire la chasse aux liens idéologiques mortifères et couper tous les circuits obscurs de financement.
L’ancien ministre des Comptes publics n’a pas cessé d’encourager les responsables de mosquées d’adopter le régime de la loi 1905 pour justement éviter de payer des taxes qui alourdissent inutilement les budgets. Ce régime a le mérite d’accroître la transparence que la loi encourage notamment par la défiscalisation des dons à hauteur de 66 % et même jusqu’à 75 % d’ici à la fin 2022.
Intelligence collective
Chez Darmanin, si l’on se fie aux simples apparences, il est vrai que nous ne sentons pas le même enthousiasme que ses prédécesseurs (Joxe, Chevènement, Sarkozy ou même Cazeneuve). A vrai dire, ce n’est pas plus mal. Cette exaltation est certainement accrue par le défi intellectuel que pose l’intégration de la seconde religion de France. Néanmoins, elle a tendance à minorer du même coup tous les grains de sable égrainés par les querelles d’égo des responsables religieux nationaux qui finissent par avoir raison des plus belles mécaniques institutionnelles.
On note en revanche chez lui beaucoup de pragmatisme et surtout une certaine aisance sur la thématique des musulmans de France. Son histoire familiale, ses mandats politiques locaux passés (maire de Tourcoing, vice-président de la Métropole européenne de Lille et de la Région Hauts-de-France) mais aussi – on l’oublie trop souvent – la qualité des conseillers et fonctionnaires du Bureau central des cultes qui l’entourent n’y sont pas étrangers.
Sur cet enjeu, il est en effet sage de garder la tête froide et faire sienne la vue gramscienne, à savoir allier le pessimisme de l’intelligence et l’optimisme de la volonté. C’est un chantier de longue haleine qui attend les participants du FORIF. L’institutionnalisation de la seconde religion est un si long processus semé d’embûches qui doit obligatoirement passer par la mobilisation d’une forme d’intelligence collective guidée par le seul intérêt général.