Grande Mosquée de Paris : les femmes au bas-étage

La prestigieuse mosquée située dans le Ve arr. de Paris interdit dorénavant aux femmes de prier dans la grande salle principale. Un collectif de fidèles musulmanes, nommé « Les Femmes dans la mosquée » proteste contre cette relégation dans une salle de prière à l’étage inférieur.

 

Depuis quelques semaines, sur la porte d’entrée de la salle de prière principale de la Grande Mosquée, un panneau indique : « Changement de Salle de Prières pour les Femmes » suivi d’une précision « (Sous-sol) ». Les parenthèses ne suffisent pas à  amortir le choc : la nouvelle séparation spatiale heurte nombre de musulmanes et musulmans, fidèles de la mosquée. Une dizaine de ces femmes, rassemblée en un collectif appelé « Les Femmes dans la Mosquée », s’insurge.

La « maison de dieu » devenue « maison des hommes »

Avant toute action concrète, le collectif réagit d’abord le 25 novembre en adressant une lettre ouverte au recteur de la Grande Mosquée, Dalil Boubakeur, pour que soit maintenu le droit des femmes d’accéder à la salle de prière principale lorsque celle-ci n’est pas pleine, en l’occurrence tous les jours exceptés le vendredi. Face au silence de la Grande Mosquée, elles décident près d’un mois plus tard de pénétrer dans la salle malgré l’interdit. Le journaliste néerlandais Frank Renout les accompagnait ce jour là dans le cadre d’un reportage. « Les femmes ne s’attendaient pas à tant d’agressivité, raconte-t-il. Un groupe d’hommes leur a fait barrage. La violence était tout autant physique que verbale. » Le journaliste a lui même été retenu dans une pièce à part une heure durant par un responsable de la mosquée.

Outrées, les quelques femmes qui ont pu accéder brièvement à la salle de prière rapportent les propos de l’Imam. Celui-ci leur aurait opposé qu’elles se trouvaient dans la « maison des hommes », détournant ainsi l’expression arabe qui désigne traditionnellement la mosquée comme « la maison de Dieu ». « L’objectif est clair : mettre de côté l’implication spirituelle de la femme alors qu’elle fait partie de l’islam » s’indigne Hanane Karimi, représentante de Femmes dans la Mosquée. Le collectif devrait porter plainte pour coups et blessures.

La Grande Mosquée de Paris a fait savoir qu’une plainte sera déposée de son côté également. Sur son site web, l’établissement dénonce le « mensonge » et la « désinformation » produite au sujet de la salle de prière des femmes. La grande mosquée s’indigne de l’emploi « ambigu » du terme « sous-sol », qu’elle a maintenant troqué pour « l’entresol. ». Les mots ont leur importance : la lutte est surtout d’ordre symbolique.

Remise en place

Difficile d’y voir clair dans ce qui motive cette décision. Si la direction du prestigieux édifice évoquait d’abord « l’affluence croissante de fidèles », elle a ensuite justifié cette mesure par les demandes de fidèles s’étant plaints de la présence de femmes « perturbatrices » et « bruyantes ». Enfin, dans son sermon du 21 janvier, l’imam apportait un argument religieux en faisant valoir que : « La femme est une tentation et il est plus pudique pour elle de prier loin des hommes S’agit-il alors d’un problème d’ordre spatial, sonore ou religieux ?

Pour Hanane Karimi, « l’argument du manque de place ne tient pas. Nous ne demandons pas à avoir accès à la salle le vendredi mais les autres jours lors desquels seuls les deux premiers rangs de la salle principale sont occupés. » L’idée que la décision serait due à la nuisance sonore provoquée par les femmes révolte également le collectif : « Nous sommes autant pénalisées que les hommes par le bruit que font certaines fidèles. Cette forme de sanction collective est inappropriée et infantilisante ». Elles reconnaissent d’ailleurs que la nouvelle salle est plutôt « bien aménagée » (malgré l’absence de fenêtre et un passage obligé devant la salle des ablutions) mais l’ambiance de « garderie » et la cacophonie ambiante empêchent le « recueillement spirituel ».

« Dans ces conditions, autant rester chez soi ! » s’emporte Leila Al Aouf membre des Femmes dans la Mosquée. Hanane Karimi lui répond : « C’est exactement ce qu’ils attendent. » L’Imam de la mosquée de Paris a en effet rappelé vendredi 21 décembre qu’il était préférable que les femmes restent prier chez elle. Pour Pierre Lory, islamologue directeur d’études à l’Ecole Pratique des Hautes Etudes à Paris, il n’y a rien de surprenant dans ces propos : « Le Prophète aurait dit : “N’empêchez pas les femmes de se rendre aux mosquées”. Il a cependant suggéré qu’elles accomplissent la prière chez elles si les conditions rituelles n’étaient pas assurées. »

Débat sur le fond

Un voile pour recouvrir leurs cheveux, des habits sobres, une parole mesurée : les femmes du collectif n’ont rien de comparable aux Femen. Elles ne se reconnaissent pas dans ce « groupuscule de six ou sept féministes islamistes » que désigne la Mosquée. « Le dénigrement systématique et les attaques personnelles sont typiquement les armes utilisées par ceux qui veulent décrédibiliser la parole des femmes, explique Hanane Karimi. Ça leur permet d’éviter de répondre aux questions de fond. »

Pour recentrer le débat, les musulmanes en colère ont lancé une pétition. Contre « l’invisibilisation des femmes dans les lieux de culte », elles exigent que « les autorités religieuses musulmanes de France se positionnent sur la place des femmes dans leur communauté. » Le collectif juge que la volonté d’effacer les femmes de la vie spirituelle est « antireligieux. » Si elles exigent d’abord le retour à une « décision mesurée », elles souhaiteraient ensuite profiter que la « brèche soit ouverte » pour remettre en question la présence du rideau séparant les hommes des femmes durant la prière.

Pour Pierre Lory, ces exigences sont certes « compréhensibles pour les mentalités modernes » mais « l’enseignement oral du Prophète, transmis par les hadiths, impose que les femmes soient hors de vue des hommes durant la prière, objecte-t-il. Remettre en question cette séparation implique une réforme de l’islam. » Concernant l’invisibilisation, il rappelle qu’elle n’est pas nouvelle du point de vue historique. « A l’époque classique, les femmes musulmanes ont été fort peu visibles dans les lieux de culte. En fait, il n’est qu’exceptionnellement question de leur présence dans les textes historiques ou juridiques. » Le rideau n’est pas encore tiré sur la contestation.

 

Le Monde des Religions.fr

F. Achouri

Sociologue.

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