La Chinafrique face au risque terroriste

Quelques jours après les attentats qui ont frappé Paris, l’exécution revendiquée par Daesh d’un otage chinois a brutalement rappelé à Pékin qu’elle est aussi sur la liste noire établie par les organisations terroristes. L’attaque de l’hôtel Radisson Blu, vendredi 20 novembre, à Bamako, n’a fait que confirmer ces craintes. Trois Chinois travaillant pour l’entreprise China Railway Construction, qui venaient discuter de projets de coopération dans la région, font partie des 19 victimes.

 

 

Dans l'entrée de l'hôtel Radisson Blu de Bamako, au Mali, après l'attaque terroriste qui a tué 19 personnes, dont trois Chinois, le 21 novembre 2015.       Le président chinois, Xi Jinping, a « fermement condamné » cette attaque revendiquée par deux groupes djihadistes. « La Chine, a-t-il déclaré, va renforcer sa coopération internationale pour combattre les activités terroristes violentes qui touchent des innocents, pour maintenir la paix et la tranquillité ». Mais pour Pékin, ces deux affaires mettent surtout en lumière sa grande vulnérabilité face aux menaces terroristes.

Des sources israéliennes indiquent qu’un millier de ressortissants chinois seraient passés par les camps d’entraînement djihadistes au Pakistan et plusieurs dizaines d’autres en Syrie. L’insurrection des séparatistes ouïgours dans la province musulmane du Xinjiang représente un vrai défi pour Pékin, qui redoute d’être frappé non plus seulement sur son immense territoire, mais également en Afrique, où vivent près de 2 millions de Chinois. Abdullah Mansour, le chef du Parti islamique du Turkestan, a déclaré la Chine « ennemie de l’islam » et les services de sécurité sont fortement mobilisés. Vendredi, la police chinoise annonçait encore avoir tué 28 membres d’un groupe terroriste au Xinjiang au terme de deux mois de chasse à l’homme pour retrouver les auteurs d’un attentat commis au mois de septembre dans la région.

Bientôt une base militaire chinoise à Djibouti ?

A dix jours du Forum Chine-Afrique, qui doit se tenir les 4 et 5 décembre à Johannesburg, les services chinois sont donc en alerte rouge. C’est dans ce contexte que le chef d’état-major de l’armée chinoise, Fang Fenghui, a effectué à Djibouti une première visite officielle les 7 et 8 novembre. Un type de déplacement que Pékin garde généralement discret. Cette fois, l’organe officiel du ministère de la défense a largement couvert la visite du général, qui a inspecté la frégate anti-missiles Sanya et les troupes de l’Armée populaire engagée dans la lutte contre le terrorisme dans la Corne de l’Afrique.

Le chef d’état-major chinois s’est entretenu avec le président Ismaël Omar Guelleh et les deux hommes ont tacitement confirmé l’avancée des négociations pour l’installation d’une première base militaire chinoise permanente en Afrique. « Djibouti a beaucoup d’avantages pour la Chine, confie un diplomate djiboutien en poste à Shanghai. Sa situation géopolitique d’abord, la stabilité de son régime et son économie en développement. Après de longues réflexions entre les deux gouvernements, un accord a été conclu pour autoriser la marine chinoise à ouvrir une base dans le pays et contribuer au développement de l’armée djiboutienne. »

La Chine a offert 200 millions de dollars (188 millions d’euros) pour cette coopération militaire et certainement beaucoup plus pour décrocher cette base stratégique à une encablure des troupes françaises, japonaises et, surtout, américaines stationnées sur l’île. Quatre mille marines sont basés à Camp Lemonnier et les futures installations militaires chinoises vont leur faire de l’ombre.

Des troupes chinoises au nord du Mali

Pékin pourrait également mobiliser ses troupes engagées sur le continent sous la bannière de l’ONU. Mais l’affaire, là encore, est compliquée. Au lendemain de l’attaque de Bamako, plusieurs gradés chinois ont en effet critiqué ouvertement l’absence de réaction de leurs quatre cents casques bleus engagés au Mali. Yue Gang, ancien colonel et spécialiste des questions anti-terroristes, exhorte la Chine à envoyer davantage de soldats au Mali, et notamment autour de Bamako. « Les commandos maliens, français et les troupes américaines se sont rendus utiles, tandis que nos hommes étaient à plus de 1 000 km de là. Pourtant, ce sont des hommes surentraînés », écrit-il sur son blog.

Le ministère chinois de la défense a tenu à rappeler les règles d’engagement de ses soldats qui ne peuvent agir sans autorisation directe du commandement des Nations unies et du pays hôte. Par ailleurs, elles sont stationnées au nord du Mali. L’affaire est d’autant plus délicate que la veille de l’attaque, le général Fan Changlong, vice-président de la Commission centrale militaire, recevait à Pékin le ministre de la défense malien, Tieman Coulibaly. Les deux hommes ont décidé, selon la formule consacrée, d’« accroître leur coopération militaire ». L’affaire du Radisson Blu devrait pousser la Chine à accélérer la mise en place de tous ses projets.

Mobilisation des services secrets

Mais la lutte contre le terrorisme ne sera pas le seul apanage des hommes en uniforme. Les services secrets chinois sont également mobilisés. Jusque-là, les espions chinois servaient surtout l’intelligence économique et contrôlaient les relations entre les pays d’Afrique et Taïwan. Mais la guerre froide entre les deux Chines est presque terminée et les services secrets sont de plus en plus mobilisés dans le cadre d’opérations anti-terroristes.

Les services de renseignement chinois comptent plusieurs agences avec des rôles bien définis. Le plus actif en Afrique est le Guoanbu, dirigé par le ministère de la sécurité d’État. Le Guoanbu compte déjà six centres régionaux de coordination sur le continent : en Égypte, en Jordanie, au Soudan du Sud, au Nigera, en Angola et en Afrique du Sud. Des antennes moins importantes sont également en place au Kenya et au Mozambique. La base de Djibouti aura notamment pour mission de coordonner leurs opérations et le renseignement en Afrique.

Ce déploiement n’est pas le fruit du hasard : ces pays sont au cœur des activités économiques chinoises. De nombreux expatriés et diplomates chinois y vivent. Les grands groupes pétroliers d’État y sont également implantés : China National Petroleum Corporation, China National Offshore Oil Corporation, Sinopec ou encore PetroChina. Les ports sont également étroitement surveillés par les hommes du Guoanbu, le ministère chinois de la sécurité de l’État, comme les installations du transporteur maritime Cosco. Les télécommunications sont également placées sous étroite surveillance. ZTE et Huawei sont très actifs en Afrique où ils ont décroché de juteux contrats pour déployer des réseaux de télécoms, fibre et 3G.

Mais Pékin a encore une carte dans sa manche : sa capacité à mobiliser l’ensemble de ses expatriés. Sous la bannière du ministère du commerce et des fronts patriotiques, regroupant des étudiants, des volontaires et des ONG chinoises, les espions professionnels font travailler en sous-main une armée de l’ombre afin de faire remonter des informations sur de potentielles cibles terroristes.

Enfin, des agences privées telle que FS Group, dirigée par Erik Prince, l’ancien patron de la société militaire américaine Blackwater, sont également placées en état d’alerte.
Le Monde Afrique

 

F. Achouri

Sociologue.

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