La consumation des braves

Les images terribles et poignantes du soldat américain Aaron Bushnell, décédé juste après s’être immolé dimanche dernier par le feu devant l’ambassade d’Israël à Washington afin de dénoncer le génocide palestinien, nous rappelle l’effroyabilité de notre époque. Comment ne pas faire le triste parallèle avec l’immolation de Mohamed Bouazizi, vendeur à la criée, décédé en Tunisie début 2011 ? Par son ultime acte, ce dernier allait devenir le symbole des « Printemps arabes » qui éclataient presque au même moment. Quel dénominateur commun à cet acte de consumation ? Au-delà de la souffrance, c’est la dénonciation de l’injustice et de l’humiliation subies, limites au-delà desquelles la vie devient insupportable pour les plus vulnérables, à une époque où la loi du plus fort règne. Époque où, notamment, une armée israélienne surpuissante décime des milliers de civils palestiniens, dont de nombreux enfants, et rase en toute impunité un territoire occupé illégalement alors même que la guerre sur le terrain est perdue face au Hamas. Époque où le bourreau avide de chaos ne craint plus personne, encouragé dans sa folie destructrice par un Occident complice, en particulier une Amérique guerrière et sanguinaire, versant le sang de milliers de jeunes martyrs en guise de sacrifice dans un projet messianique pour hâter la venue du Mashia’h, selon la Bible hébraïque, et d’un Etat intouchable qui, du fait de la Shoah, s’autorise même les pires horreurs à l’encontre des Palestiniens que celles commises durant la période nazie. 

Une époque dominée par la violence suivie en direct sur les réseaux sociaux, témoignant de notre glissement vers la banalisation du Mal. Une virtualité qui nous happe dans l’horreur palestinienne, bien réelle, celle de milliers d’individus privés de tout, même de leur humanité ! Tragique époque où les images de cadavres côtoient une masse d’infrahumains rivés sur les réseaux sociaux et leur flot incessant et superflu d’informations. Conséquence déplorable d’un matérialisme dans lequel nous avons globalement sombré, campés dans l’ignorance et préoccupés davantage par les jouissances matérielles qu’à nous dresser face aux piètres dirigeants politiques qui nous conduisent tout droit vers l’abîme. Le nettoyage ethnique en cours en Palestine est symptomatique de l’agonie d’un Occident nihiliste qui a basculé dans l’individualisme et l’isolationnisme, avec la complicité mensongère des grands médias. Et que dire de la traîtrise des dirigeants musulmans, complices d’Israël pour certains (Jordanie, Turquie, Égypte…), des dirigeants qui dévoilent au grand jour leur duplicité tout en dévoyant les grands principes de l’Islam. Un chavirement mondialisé sous l’œil du grand trompeur Internet, système économique et pervers fondé sur l’isolement, qui nous déshumanise et nous détourne de la réalité un peu plus chaque jour. Un isolement virtuel qui engendre en effet une distanciation face au réel, où la préoccupation majeure n’est plus que de profiter de tout, sans être perturbé dans son confort. 

Pendant que les grandes idéologies sont en train de s’effondrer sous nos yeux, la crise anthropologique de la démocratie, qui n’a pas été capable de relever le défi de l’harmonie, touche sans doute à sa fin. L’Homme déshumanisé et avili par la machine toute puissante perdra la raison au point de ne plus être capable de conserver une société viable et sécuritaire. La perte de souveraineté de la France au profit de l’Europe a engendré une société fracturée et atomisée, désormais embarquée dans un cannibalisme social. Les émeutes de juin 2023 n’en furent qu’un épisode convulsif, des milliers de « rien » dénoncés en leur temps par Emmanuel Macron, des individus que le capitalisme a produits dans sa forme abjecte et violente. Mais c’est à l’échelle mondiale, d’abord avec la guerre en Ukraine puis avec le conflit israélo-palestinien récemment que nous entrons davantage dans le cycle infernal d’un bellicisme globalisé sur fond de fondamentalisme religieux. Les mois à venir risquent en toute probabilité de voir l’émergence de violences de tout bord au nom de Dieu, celles notamment d’un djihad globalisé sur fond eschatologique, revivifié en cette fin de cycle afin de restaurer les lois de Dieu sur terre et contrer la folie messianique des dirigeants israéliens dans leur projet de construction du troisième Temple de Jérusalem en lieu et place de la mosquée al-Aqsa (troisième lieu saint de l’islam). Ou, vu la vitesse vertigineuse à laquelle s’enchaînent les événements dramatiques, c’est peut-être l’éclatement d’une guerre entre l’Otan et la Russie, ou toute autre catastrophe, qui pourrait alors contrarier ce macabre plan. Pour ne pas conclure, nous emprunterons au Coran une sémantique usitée dans le narratif actuel : « Et ils (les autres) se mirent à comploter. Allah a fait échouer leur complot. Et c’est Allah qui sait le mieux leur machination. » (S. 3, v.54).

Fatima Achouri

Sociologue spécialiste de l’islam contemporain.

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