La fraternité, clé du vivre-ensemble pour le pape François

Le fait divers a, d’après la presse italienne le 12 décembre, attristé le pape François : un sans-abri trouvé mort dans un parking tout proche du Vatican en début de semaine. Ce qui de surcroît l’a affecté est le silence médiatique autour de ce drame.

Raviver le lien de « fraternité » unissant la famille humaine, la « conscience d’être en relation », celle d’être « tous réciproquement nécessaires », est ce à quoi s’emploie le pape élu il y a tout juste neuf mois dans son message, dévoilé jeudi 12 décembre, en vue de la journée mondiale de la paix du 1er janvier prochain.

Les formidables moyens d’interconnexions et de communications rendent « plus palpable la conscience de l’unité » entre nations, mais cette mondialisation est obstruée en même temps par l’indifférence et l’habitude à la souffrance d’autrui.

Message du pape François

Caïn et Abel

« La fraternité a besoin d’être découverte, aimée, expérimentée, annoncée, et témoignée », résume le pape dans ce premier message pour la paix de son pontificat, dont ce texte reprend la marque inaugurale. Celle d’être « gardiens les uns des autres », comme il l’avait défini dans l’homélie, le 19 mars, pour l’inauguration de son ministère pétrinien. Depuis, il a multiplié les gestes et paroles contre la « culture du rejet » et la « mondialisation de l’indifférence », selon son expression à Lampedusa le 8 juillet.

Son message pour la paix reprend tous ces thèmes pour leur opposer la fraternité, en guise de fil conducteur. Si la famille est la première cellule où se forge cette fraternité, le pape en rappelle d’abord le fondement théologique, celui de la « paternité transcendante » de Dieu et de notre relation fraternelle au Christ.

Il explique cet ancrage à partir du récit biblique de Caïn tuant son frère Abel, comme il l’avait fait lors de la veillée de prière pour la paix en Syrie le 7 septembre dernier. Il n’y a pas d’autre base conceptuelle que chrétienne pour le pape, pour qui « les éthiques contemporaines deviennent incapables de produire des liens authentiques de fraternité ».

Répartition inéquitable

À partir de ce fondement, le pape passe en revue les grands maux contemporains de nos sociétés pour montrer, dans chaque situation, comment la redécouverte d’un esprit de fraternité peut servir, selon l’intitulé de son message, de « fondement et route pour la paix ». L’Église catholique articulant toujours la paix avec la justice et le développement, le pape latino-américain évoque aussi bien la pauvreté, que les inégalités sociales, l’économie, la corruption ou l’environnement.

« Vaincre la pauvreté » est toutefois placé en tête des préoccupations de celui qui au début de son pontificat a déclaré désirer « une Église pauvre pour les pauvres ». Tout en prenant acte du recul de la « pauvreté absolue », comme les chiffres de la Banque mondiale en attestent régulièrement, le pape issu d’un continent aux inégalités criantes met l’accent sur cette « pauvreté relative » au sein d’une même société.

À cette fin, son message appuie les politiques redistributives et celles atténuant « une répartition inéquitable excessive du revenu », allusion implicite par exemple aux diverses mesures prises pour encadrer les hauts salaires. Au-delà de ces politiques, le pape en appelle surtout au mode de vie de chacun. Lui qui a fait le choix d’habiter un trois-pièces dans la résidence communautaire de Sainte-Marthe de la Cité du Vatican plutôt que dans le Palais apostolique vante « le détachement de celui qui choisit d’adopter des styles de vie sobres et basés sur l’essentiel ».

« Guerres moins visibles mais non moins cruelles »

Ce « changement dans les modes de vie » au profit de la fraternité, le pape l’évoque aussi dans sa brève analyse des récentes crises économiques. Très marqué par celle qu’il a vécue en Argentine, il encourage de « nouvelles réflexions sur les modèles de développement économique », en écho aussi à ses réflexions plus nourries dans son exhortation apostolique du 24 novembre dernier.

Son message met cette fois surtout l’accent contre l’économie souterraine et criminelle, celle des réseaux de trafic de drogue, d’êtres humains et autres exploitations contre lesquelles s’élevait déjà son premier déplacement sur l’île de Lampedusa. Les organisations criminelles « offensent gravement Dieu, nuisent aux frères et lèsent la création, et encore plus lorsqu’elles ont une connotation religieuse », écrit-il, renvoyant implicitement aux mafias ou groupes islamistes. Plus largement, le pape n’hésite pas à parler, dans le domaine économique et financier, de « guerres moins visibles mais non moins cruelles ».

La fraternité dans l’économie est aussi à retrouver, selon le pape, dans l’agriculture. En écho à son message cette semaine pour la campagne « nourriture pour tous » de la Caritas, il appelle non pas à augmenter la production agricole, jugée suffisante malgré une population mondiale en hausse, mais en insistant ici encore sur la redistribution et le partage des biens.

« La nature, don du Créateur »

Cette nouvelle dénonciation du « scandale de la faim » est précédée d’un rappel des devoirs de l’homme envers la nature, « don du Créateur ». « La nature est à notre disposition et nous sommes appelés à l’administrer de manière responsable », écrit le pape, qui, selon un responsable du Conseil pontifical Justice et paix, songerait à rédiger une encyclique sur l’environnement.

Mais un message pour la paix est bien entendu un appel à cesser les guerres. Le pape réserve son ton le plus direct à une longue injonction contre les conflits armés qui se poursuivent « dans l’indifférence générale ». « Redécouvrez votre frère en celui qu’aujourd’hui vous considérez seulement comme un ennemi à abattre, et arrêtez votre main ! », lance-t-il dans un « appel fort » en écho à celui prononcé à l’Angélus le 1 er  septembre dernier annonçant la veillée de prière pour la Syrie. Le pape François avait alors repris l’expression de son prédécesseur Paul VI devant l’ONU : « Plus jamais la guerre ! ».

Pour le cardinal Peter Turkson, représentant le pape aux obsèques de Nelson Mandela mardi dernier, ce message pour la paix est à rapprocher de celui de réconciliation du héros de la lutte anti-apartheid « qui a facilité la conversion des cœurs contre le fratricide ».

 

La Croix

 

F. Achouri

Sociologue.

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