La Mecque ou le syndrome de Babel

          La néfaste année 1436 de l’hégire s’est close sur un deuil planétaire au dernier jour du mois de Dhou al-Hijja, le 14 octobre de l’année solaire.

Comme un avertissement, à la veille du grand pèlerinage annuel, une grue s’était écrasée sur la Grande Mosquée de La Mecque le 11 septembre, tuant 109 croyants.

Le 24 septembre, au premier jour de l’Aïd al-Adha, la fête du Sacrifice, nouvelle hécatombe dans la première ville sainte de l’islam : une bousculade mortelle a lieu au pied des stèles diaboliques de Mina, que des milliers de fidèles viennent lapider. Le 26 septembre, les autorités saoudiennes faisaient état de 769 morts, mais les pays d’origine des pèlerins donnent leurs estimations, et le bilan ne cesse de s’alourdir. Ce jeudi 22 octobre, il excède celui de la bousculade de 1990, qui avait fait 1 426 victimes, et s’élève à plus de 2 100 morts pour 31 nations. Les disparus se comptent encore par centaines.

Il ne faut pas pourtant s’attendre à un mea culpa du souverain qui, ayant reçu les condoléances du monde entier, n’a même pas eu un mot de compassion pour les victimes

Obsédés par la menace que fait planer Daesh, les gardiens saoudiens des Lieux saints ont déployé une palanquée de forces de sécurité, mais n’ont pas su prévenir une catastrophe qui fera peut-être plus de victimes qu’un 11 septembre américain.

Le ministre saoudien de la Santé a incriminé l’indiscipline des pèlerins. De nombreux participants ont, eux, fustigé la mauvaise gestion de l’édition 2015. Annonçant une « révision des plans » de cette organisation, le roi Salman n’a-t-il pas reconnu implicitement les défaillances de ses services ? Il ne faut pas pourtant s’attendre à un mea culpa du souverain qui, ayant reçu les condoléances du monde entier, n’a même pas eu un mot de compassion pour les victimes.

Riyad a promis une enquête « rapide et transparente ». Pour désamorcer les rumeurs complotistes les plus folles, encore faudrait-il que cette enquête soit menée de manière indépendante, et conjointement avec des pays musulmans, comme l’exigent les Iraniens.

« La Ville sainte est devenue une Babel d’Arabie à l’ère de la mondialisation »

Au-delà des responsabilités ponctuelles, la tragédie devrait inciter les autorités saoudiennes, mais aussi les États et la communauté des musulmans à reconsidérer leur approche du cinquième pilier de l’islam. Aussi commerçante que religieuse dès la période préislamique, la Ville sainte est devenue une Babel d’Arabie à l’ère de la mondialisation. Loin de contenir les exigences des États désireux d’augmenter leurs quotas, Riyad, qui devrait empocher 6,5 milliards d’euros cette année, aménage les lieux pour accueillir à terme 2,2 millions de pèlerins, soit 10 % de plus que cette année.

Les croyants sont de plus en plus nombreux à multiplier les voyages, les plus fortunés occupant des suites à plusieurs milliers d’euros avec vue sur la Kaaba. La démarche spirituelle du hadj se mue en loisir touristique, et son organisation, en business très lucratif. Affranchir le pèlerinage de ses dimensions financière et politique devient indispensable. Placer La Mecque sous administration internationale (celle de l’Organisation de la coopération islamique), comme le propose également Téhéran, est une idée pertinente. Encore faudrait-il que l’Arabie saoudite, gardienne des Lieux saints, accepte un jour de se séparer d’un tel vecteur d’influence.

 

Jeune Afrique

Fatima Achouri

Sociologue spécialiste de l’islam contemporain.

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