Le pape François prononce lundi 13 janvier ses premiers vœux au corps diplomatique, tandis que le Vatican organise un séminaire d’experts sur la Syrie.
Le pape François peut-il arrêter la guerre en Syrie ? Le Saint-Siège est persuadé qu’il doit au moins y contribuer et s’en donne des moyens nouveaux.
Aux vœux du pape au corps diplomatique, prévus lundi 13 janvier au matin au Vatican, traditionnelle occasion d’un tour d’horizon des grandes questions internationales du moment, s’est ajouté, en même temps et sur demande du pape argentin, un séminaire international de travail sur la Syrie au titre voulant provoquer les consciences : « Avec 126000 morts et 300000 enfants orphelins en 36 mois de conflit, peut-on rester indifférent ? » La date choisie n’a rien de fortuit puisque cette journée de réflexion se tient moins de dix jours avant la conférence de paix prévue pour le 22 janvier, dite « Genève 2 ».
« Définir des pistes concrètes »
« Le Vatican n’est pas en train d’organiser une sorte de “Genève 3”. Il n’est pas directement impliqué dans une médiation à huis clos entre le régime de Bachar Al Assad et l’opposition, qui relève des Nations unies », prévient toutefois Mauro Garofalo, de Sant’Egidio, communauté chrétienne de médiation pour la paix proche du Saint-Siège. « C’est d’abord un séminaire d’experts de haut niveau pour permettre au Vatican de mieux se rendre compte de la situation », estime un diplomate y prenant part. « Il s’agit de définir des pistes concrètes pour encourager des actions d’urgence que seraient un arrêt des combats et un accès sécurisé à l’aide humanitaire auprès des réfugiés », poursuit un autre diplomate participant.
Organisée par un proche compatriote du pape, Mgr Marcelo Sanchez Sorondo, la journée se tient à l’Académie pontificale des sciences, à laquelle le pape argentin avait déjà confié début novembre un travail sur le trafic d’êtres humains, son autre grand sujet international de préoccupation.
Parmi les invités cette fois figurent l’évêque d’Alep, Mgr Antoine Audo, Joseph Maïla, professeur de géopolitique à l’Essec et ancien recteur de l’Institut catholique de Paris, Mohamed El Baradei, prix Nobel de la paix 2005, Romano Prodi, ancien président du Conseil italien, Jeffrey Sachs, des Nations unies, ou encore Thierry de Montbrial, fondateur du centre de recherche géostratégique Ifri, et un grand diplomate russe (Tony Blair a décliné au final l’invitation). Le pape jésuite devrait venir les rencontrer directement.
« François est déterminé à jouer une part active »
« Plus qu’aucun pape dans la période récente, François est déterminé à jouer une part active dans la quête pour résoudre les pires conflits du monde », observe sir Ivor Roberts (Oxford) dans l’hebdomadaire catholique britannique, The Tablet. De fait, l’initiative de ce jour pour la Syrie s’ajoute à celle remarquée, début septembre, contre une intervention militaire occidentale alors imminente, couplant veillée de prière pour la paix, convocation du corps diplomatique près le Saint-Siège et envoi d’une lettre du pape au G20 se tenant au même moment à Saint-Pétersbourg.
Cette mobilisation concertée de la diplomatie vaticane est-elle prise au sérieux ? « La visite au Vatican de Vladimir Poutine, dans une moindre mesure celle de Benyamin Netanyahou et celle de deux émissaires d’Assad après Noël apportant un message du président syrien, montrent que le Saint-Siège est considéré un acteur, mais avec une volonté de l’instrumentaliser pour tirer profit de son autorité morale », observe une source diplomatique. « Le pape François a évité le piège de s’ériger en défenseur des seuls chrétiens comme les Russes et Assad l’y poussent pour justifier la guerre », ajoute une autre, appréciant la façon dont « la diplomatie vaticane s’active sans s’impliquer ».
Priorité au dialogue interreligieux
Dans l’immédiat, c’est le dialogue interreligieux en Syrie que le Saint-Siège cherche à nourrir. « Il n’y a pas de paix possible en Syrie sans paix entre les religions », résume Mgr Sorondo. C’est l’autre objectif de la présente journée ouverte justement par le président du Conseil pontifical pour le dialogue interreligieux, le cardinal Jean-Louis Tauran, et qui donnera lieu à un communiqué final.
« La présence chrétienne est en effet essentielle pour atténuer les tensions entre chiites et sunnites », souligne Oliver McTernan, dirigeant de l’ONG britannique de médiation internationale, Forward Thinking. « Mais pour influer, il doit rester clair que le pape recherche honnêtement à servir la paix et n’est pas soupçonné de défendre les intérêts de l’Église », met-il en garde, alors que le pape François prévoit de se rendre fin mai en Terre sainte et en Jordanie, où il doit rencontrer des réfugiés syriens. Il regrette que le Saint-Siège n’ait pu s’affirmer davantage au début du conflit syrien.
« Lorsque les archives du Vatican deviendront accessibles, on mesurera combien le Saint-Siège a soutenu le régime de Bachar Al Assad quand il était contré par une rébellion encore modérée. C’est toute l’ambiguïté aujourd’hui de l’action diplomatique du Vatican dans ce conflit, où il se retrouve sur la défensive face aux chrétiens d’Orient », analyse Dominique Moïsi, conseiller spécial à l’Ifri.
« Ce nouveau pape, de par son expérience, est plus à l’aise et sera plus influent sur la mondialisation et la critique du capitalisme que sur la crise syrienne. En ce sens, il sera plus entendu en Asie qu’au Proche-Orient. »
La Croix