Chaque année, en France, autour de 300 musulmans seraient baptisés dans l’Église catholique.
C’est à l’adolescence que Kamel a « rencontré » Jésus en lisant le Coran. « Il s’est rendu compte que, si le Coran disait vrai, il ne devait pas être un homme comme les autres », raconte le P. Xavier Chavane, curé de la paroisse des Mureaux (Yvelines). « Assez naturellement », le jeune homme s’est rapproché de l’Église catholique, au point d’entamer un parcours catéchuménal à 22 ans et de demander le baptême deux ans plus tard.
Mais ce chemin n’était pas sans embûches : élevé dans la foi musulmane, Kamel savait qu’il ne pouvait partager la nouvelle avec sa famille, qui « le rejetterait » immanquablement. Comme pour bon nombre des 300 musulmans qui parviennent chaque année jusqu’au baptême en France, sa « chance » était de vivre éloigné d’elle…
L’accueil par l’Église des personnes venues de l’islam reste, aujourd’hui encore, une question délicate. En effet, en dehors de prises de position individuelles et extrêmement minoritaires, la communauté musulmane persiste à refuser à ses membres le droit de changer de religion. « Le terme même de conversion est spécifiquement chrétien. Du point de vue musulman, ce passage est envisagé comme une apostasie », souligne le P. Henry Fautrad, curé dans les quartiers sud du Mans et délégué diocésain pour les relations avec l’islam, qui participait, début juillet, à Orsay (Essonne), à la session annuelle de formation organisée par le Service des relations avec l’islam (SRI) de la Conférence des évêques.
Détermination
Bravant les obstacles, un nombre réduit mais assez constant de musulmans choisissent malgré tout de rejoindre l’Église catholique. Si, à une époque, ces demandes ont pu être accueillies avec circonspection, l’Église invite désormais les accompagnateurs à les traiter « avec prudence et discernement », mais leur indique également qu’ils « n’ont pas à craindre de s’engager dans cette démarche », selon la formule du Service national du catéchuménat. Quelques « points d’attention » sont seulement proposés aux accompagnateurs, et parmi ceux-ci, la nécessité de prendre en compte ce risque d’une coupure douloureuse avec la famille et le milieu d’origine.
Responsable des relations avec l’islam à Évreux, le P. Jean-François Berjonneau a eu l’occasion d’accompagner vers le baptême un ancien détenu, « menacé par ses coreligionnaires » au point d’être transféré dans un autre établissement. Le prêtre ne l’a pourtant pas dissuadé de poursuivre son parcours, « frappé, comme les autres aumôniers, par la détermination » de cet homme, « qui ne reniait pas sa foi musulmane mais avait la conviction d’avoir découvert quelque chose de nouveau dans le christianisme ».
Accompagnement après le baptême
Ici ou là, des réponses pratiques s’inventent : au Mans, le catéchuménat comme la célébration des sacrements peuvent être organisés dans un autre quartier, pour éviter pressions et menaces. « Nous réfléchissons même dans notre diocèse à la tenue d’un registre d’initiation chrétienne qui ne serait pas paroissial », et donc d’accès plus restreint, rapporte le P. Fautrad.
Toujours pour tenir compte de cette rupture fréquente dans les relations sociales du converti, Mgr Georges Pontier, archevêque de Marseille, a demandé à l’équipe chargée des relations avec l’islam de réfléchir à un accompagnement spécifique après le baptême. Sœur Colette Hamza a sondé chacune des personnes concernées, mais elle s’interroge : « Faut-il les maintenir dans leur histoire particulière ou les aider à rejoindre l’ensemble de la communauté ? »
La demande revient en tout cas avec force de la part d’associations de convertis venus de l’islam, telles Notre-Dame de Kabylie. Et elle interpelle le P. Xavier Chavane, convaincu « que l’Église de France a des progrès à faire pour l’accueil des catéchumènes en général, mais de ceux venus de l’islam en particulier ».
Tremplins vers la foi chrétienne
Mais c’est aussi, sur un plan plus théologique que l’Église travaille cet accueil bien particulier. Entre islam et christianisme, le rapport à Dieu, mais aussi au texte, à l’autre et même à la communauté diffère. « Souvent le musulman est dans une relation de soumission à Dieu, avec des rites, un côté démonstratif. Le passage à la religion catholique n’est pas facile, il peut avoir le sentiment d’être livré à lui-même », observe le P. Maurice Bez, curé à Besançon. Pour le P. Fautrad, au Mans, c’est même « une certaine anthropologie qu’il convient d’abandonner pour une autre ».
Longue est donc la route par parvenir au baptême, parfois jusqu’à trois ans. Une « épreuve » pour certains d’entre eux, reconnaît le P. Chavanne. Mais le temps laissé aux catéchumènes leur laisse aussi la faculté de mûrir leurs motivations, parfois incertaines au départ, comme pour ces quelques convertis sans papiers, accompagnés dans leurs démarches par le Secours catholique…
Il peut enfin les aider à déceler, dans leur parcours jusque-là, non pas seulement « des obstacles mais des tremplins » vers la foi chrétienne, comme le souligne le P. Pierre Hinzelin, prêtre coopérateur dans une paroisse populaire de Nancy : « Il ne s’agit pas de faire du parallélisme, ni de dire que nous avons tous le même Dieu, mais de reconnaître un terrain sur lequel Dieu a déjà travaillé. »
Dans les deux sens, des conversions difficiles à chiffrer
En plus des 300 baptêmes d’anciens musulmans rejoignant l’Église catholique (chiffre qui reste une estimation, compte tenu des remontées d’informations inégales et de la discrétion de certaines célébrations), il faut ajouter les conversions au sein des Églises protestantes et notamment évangéliques. Les conversions seraient plusieurs milliers chaque année, mais ces chiffres sont difficiles à vérifier. Dans le sens inverse, selon Le Parisien (18 octobre 2012), dix Français se convertiraient à l’islam chaque jour. Mais le décompte des mosquées est lui aussi peu homogène et ces estimations sont là encore à manier avec prudence.
Source : La Croix