L’aumônerie militaire musulmane a 10 ans

Le 18 mars dernier, les aumôniers militaires du culte musulman étaient à l’honneur à l’Hôtel de Brienne, où siège le ministère de la Défense, pour fêter leur dixième anniversaire. Après plus de deux siècles de présence de soldats musulmans dans les rangs des armées françaises.

 

© DR  Un rameau d’olivier, surmonté d’un croissant or. L’insigne, brodée sur les casquettes et les galons, est celle des aumôniers militaires du culte musulman. En présence des intéressés, de leurs homologues des cultes protestants, catholiques et israélites, ainsi que des représentants français des autorités religieuses, le ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian a salué le rôle des aumôniers musulmans aux armées. « L’aumônerie musulmane s’est montrée à la hauteur des espoirs placés en elle et continue de répondre aujourd’hui aux attentes qui s’expriment à son égard », s’est félicité le ministre.

Créée en 2005, l’aumônerie militaire du culte musulman compte aujourd’hui 38 membres, dont une femme, répartis sur l’ensemble du territoire français. L’existence d’aumôneries (et leur subvention par l’État) ne contrevient pas à la loi de 1905 sur la séparation des Églises et de l’État, laquelle garantit la liberté de culte dans les institutions fermées, comme l’armée, les prisons ou les hôpitaux. L’aumônerie a pour mission officielle de soutenir moralement et spirituellement les soldats qui souhaitent avoir recours à ses services, et d’organiser le culte musulman au sein des armées. Elle facilite ainsi, notamment, la possibilité de se rendre en pèlerinage à La Mecque, ou d’avoir accès à des repas halal.

Légitimité historique

Jean-Yves Le Drian a insisté sur la légitimité historique d’une telle aumônerie en rappelant « l’engagement, depuis plus de deux siècles, de soldats de confession ou de culture musulmane au sein des armées françaises ». Des mamelouks de l’armée napoléonienne en passant par les harkis de la Guerre d’Algérie, les musulmans ne cessent de pourvoir les rangs de l’armée française. S’il est impossible de déterminer leur nombre exact en raison de l’interdiction des recensements ethniques et religieux en France, le sociologue Elyamine Settoul estime à 15 % la part de militaires de confession musulmane.

Selon ce spécialiste de la diversité dans l’armée, l’aumônerie musulmane a répondu à des problèmes de cohésion et à certaines tensions. Selon lui, avant 2005, nombre de musulmans souffraient d’un traitement « deux poids deux mesures », en comparaison des catholiques, des protestants et des juifs qui bénéficiaient d’aumôniers organisant, à titre d’exemple, des pèlerinages à Lourdes ou la livraison de repas casher. « Les musulmans se sentaient un peu frustrés par rapport à ces inégalités. Cela générait des problèmes de cohésion, car quand vous recevez un traitement différent, ça finit par rejaillir sur l’ambiance et l’efficacité des troupes », explique l’enseignant-chercheur.

« La mission prime »

Concernant la cohésion parmi les troupes, l’aumônier en chef, Abdelkader Arbi, admet que le principal défi rencontré par un aumônier musulman est « d’abord de rassurer, parce que l’islam, plus que d’autres religions pose question, ce qui nécessite d’expliquer ce qu’est le culte musulman, ce qui en relève vraiment et ce qui n’en relève pas ». Un travail de pédagogie et de conseil destiné surtout au commandement, lequel formule parfois « des questions légitimes », telles que la gestion des soldats lors du Ramadan. Pour autant, la hiérarchie veille à l’égalité de traitement entre tous les soldats ; là-dessus Abdelkader Arbi est formel : « On garde à l’esprit l’adage qui dit « la mission prime » ; le militaire ne rentre pas dans l’armée pour pratiquer sa religion, même s’il en a la liberté.»

Une simple recherche sur Google suffit pour réaliser que la présence de musulmans dans les forces armées françaises donne du grain à moudre aux tenants de l’islamophobie. Des doutes sont exprimées sur la loyauté des soldats de confession musulmane, amenés à combattre des ennemis partageant la même religion, sur des théâtres d’opérations extérieures comme l’Afrique de l’Ouest, le Sahel ou l’Afghanistan. Des craintes stigmatisantes que l’on retrouve au sein même de l’armée, rapporte Elyamine Settoul, sous forme, par exemple, de « blagues douteuses » faites à des soldats musulmans, soupçonnés d’être de potentiels transfuges.

D’un point de vue théologique, l’aumônier en chef, Abdelkader Arbi, est clair : il n’y a selon lui aucune incompatibilité entre l’adhérence à l’islam et le fait d’être un militaire français. « L’amour de la patrie fait partie de la foi, explique-t-il. La foi en Dieu est divisée dans l’islam en 99 parties, lesquelles intègrent l’amour et la défense de la patrie. Dès lors qu’il se considère français, le militaire musulman se doit de défendre les couleurs du drapeau. »

 

Le Monde des Religions

Fatima Achouri

Sociologue spécialiste de l’islam contemporain.

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