Dans un monde où la violence physique ou morale est habituelle, où les religions sont pointées du doigt, on est en droit de se poser la question de savoir si celles-ci sont source de paix ou de sauvagerie. En ces périodes troublées, il n’est pas inutile de faire le point sur le cas du christianisme. Son histoire est parsemée à la fois d’actes empreints d’humanité et de comportements particulièrement belliqueux.
Sur les sites Internet, certains auteurs d’articles affirment que la violence physique est préconisée dans les Évangiles. Cette position paraît de prime abord quelque peu contraire à ce que l’on retient quand on les lit, mais acceptons-en la thèse et analysons-la.
Auparavant, parcourons ces écritures. De manière assez cohérente, l’enseignement de Jésus semble se confondre à des gestes de paix et d’amour. Il est basé sur les Béatitudes : “[…] heureux ceux qui ont soif de justice, heureux les miséricordieux, […] heureux les artisans de la paix” (Mt, 5,3-10). Parlant des ennemis, il dit dans un autre verset (Mt, 5,43) : “Mais moi, je vous dis : Aimez vos ennemis, […], faites du bien à ceux qui vous haïssent…” En conclusion, on convient généralement que ses préceptes se résument en une phrase : “Voici quel est mon commandement : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés” (Jn, 15,12).
De plus, il s’avère que jamais Jésus n’a tué un homme ou une femme, il n’a pas recommandé la lapidation, ni invité ses disciples à éliminer les adversaires. Certes, il n’était pas tendre dans ses paroles à l’égard de certains de ses contemporains, certes il traitait ses opposants religieux de sépulcres blanchis, mais ce sont des paroles et non des actes. “Malheur à vous, pharisiens, parce que vous négligez la justice et l’amour de Dieu” (Lc, 11,42).
Ses disciples ont repris son enseignement dans leurs épîtres du Ier siècle. Saint Paul dans l’épître aux Romains 12,17-18 : “Sans rendre le mal pour le mal […] en paix avec tous si possible…” Dans l’épître aux Corinthiens 13,2 : “Quand j’aurais une foi à transporter des montagnes, si je n’ai pas la charité, je ne suis rien.” Dans l’épître aux Galates (6,10) : “Pratiquons le bien à l’égard de tous et surtout de nos frères dans la foi.” Dans l’épître aux Colossiens 3,12 : “Revêtez des sentiments de tendre compassion, de bienveillance, d’humilité, de douceur, de patience.”
Manifestement, ces écrits restent dans la droite ligne des préceptes du Maître, il n’y a ni d’appel à la vengeance, ni d’invitation au massacre. Il n’empêche que d’aucuns lisent dans les Évangiles des exhortations à la guerre et au crime. Ils se réfèrent notamment et principalement au passage de Mathieu 10,34-36 : “Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre; je ne suis pas venu apporter la paix, mais l’épée. Car je suis venu mettre la division entre l’homme et son père, entre la fille et sa mère,… et l’homme aura pour ennemis les gens de sa maison.” Une phrase qui interpelle, dans la mesure où Jésus prône la paix et l’amour.
Un autre évangéliste, Luc, reprend cette phrase, et utilise le mot “division” à la place du mot “épée”. Luc 12,51 : “Pensez-vous que je sois venu apporter la paix sur la terre ? Non, vous dis-je, mais la division.”L’épée de Mathieu devient division. Jésus avertit qu’il sera cause de division entre les générations, comme il le précise dans les deux extraits (Mt et Lc), mais il ne demande pas aux membres d’une même famille de s’entretuer pour lui par l’épée.
Luc utilise lui-même le terme épée dans un autre verset quand il fait dire à Siméon s’adressant à Marie qui était enceinte (2,34-35) : “cet enfant doit être un signe en butte à la contradiction, et toi-même, une épée te transpercera l’âme.” On sait que Marie se trouvera au pied de la croix le cœur transpercé… de chagrin. Point d’épée au sens littéral, point d’arme blanche à double tranchant de 60 cm de long.
On sait que les premiers disciples ont eu entre eux des conflits aigus, concernant en particulier l’application de certains passages de la Loi juive, mais jamais il n’y paraît une quelconque allusion au meurtre. Toute invitation de Jésus à la cruauté ne paraît donc pas bien argumentée. En revanche, il est indéniable que des chrétiens ont tué et se sont entretués avec une complaisance inouïe, souvent au nom de Jésus ! Voilà une vérité incontestable et incontestée.
Durant les trois premiers siècles, les chrétiens ont suivi l’enseignement de Jésus et n’ont ni attaqué ni tué ceux qui ne partageaient pas leur croyance. Dans le livre de Frédéric Lenoir intitulé “Comment Jésus est devenu Dieu” (Editions Fayard, 2010), on peut lire à la page 109 un écrit célèbre, la lettre à Diogène (fin du IIe siècle) dont l’auteur est resté anonyme : “Les chrétiens se conforment aux usages locaux pour les vêtements, la nourriture et la manière de vivre […] Ils passent leur vie sur terre, mais sont citoyens du ciel. […] Ils aiment tous les hommes, et tous les persécutent…” Qu’advint-il ensuite dans les siècles suivants ? Non seulement l’empereur Constantin marque la fin d’une ère de persécutions des chrétiens, mais il permet à l’Église chrétienne de prendre son essor, en établissant la liberté de culte par l’édit de Milan (313).
Le christianisme, en devenant la religion de l’Empire romain au IVe siècle, donne à l’empereur une autorité qui s’exerce au nom de Dieu. Cette religion devient un élément essentiel de cohésion. Il n’y a plus de place pour les païens qui vivent dans l’Empire romain. Les Évangiles sont comme jetés aux oubliettes. C’est le drame du christianisme. On mêla le spirituel et le temporel. Et, pour couronner le tout, la fabrique de dogmes se mit en route. Sont arrivées quelques siècles plus tard les guerres de religion, épouvantables et honteuses. Ensuite, les affrontements abominables entre des états chrétiens et ce jusqu’au XXe siècle. Et que dire de la passivité des autorités religieuses face à tant de massacres ?
Si le christianisme est décrit par son histoire, façonnée au cours des siècles par les chrétiens et les catholiques en particulier, il est indéniable que cette religion n’a pas été pacifique, c’est un euphémisme. Par contre, si le christianisme est représenté par les textes fondateurs, il est manifeste que cette religion préconise la paix, la tolérance, l’amour du prochain et la non-violence. Des saint François d’Assise, des saint Vincent de Paul ou des Père Damien, des Mère Teresa ont été nombreux et restent des exemples évangéliques. Le paradoxe vient de ce que, même si les textes n’appellent pas à la guerre, ils n’ont pas empêché des chrétiens de se comporter souvent comme des barbares.
La raison ? La folie des hommes, leur soif de pouvoir, leur instinct de domination, la peur de l’étranger, leur violence quasi innée, animale. Ajoutons, leur conviction d’avoir raison et leur antiféminisme. Ces pages sombres de l’histoire sont-elles tournées ? Qui vivra, verra. Car, il a fallu attendre le XXe siècle pour que le Vatican en revienne au début du christianisme et commence à se débarrasser des conceptions de l’empire romain, admette la séparation de l’Église et de l’État, la liberté de conscience, la liberté de presse, la liberté de culte… et la laïcité. L’Église applique toujours hélas une inégalité homme/femme dans sa structure (l’inégalité est une forme de violence morale). Et sa conversion pour appliquer les préceptes évangéliques n’est pas finie.
Le pape François a rappelé que les cardinaux de la Curie, toujours attachés à leur pouvoir et à cette pompe romaine si méprisable, en sont bien éloignés. C’est tout un travail en profondeur qui l’attend, non seulement sur le fond mais aussi sur la forme. Jésus n’a-t-il pas dit (Mc, 9,35) : “Si quelqu’un veut être le premier, qu’il soit le dernier de tous et le serviteur de tous.” Les apparences ne sont en effet pas à négliger : on appelle toujours un évêque Monseigneur (mon Seigneur) et le protocole appliqué dans plusieurs pays donne encore la première place au cardinal. Constantin n’est pas mort.
La Libre.be