Le guett, tradition ou misogynie ?

Le grand rabbin de France Haïm Korsia a dévoilé, le 10 septembre à l’AFP, des mesures visant à régler l’épineuse question du divorce religieux. Son prédécesseur, Michel Gugenheim, grand rabbin de Paris (et grand rabbin de France par intérim avant l’élection de Haïm Korsia en juin 2014) a été récemment mis en cause dans une affaire de « chantage au divorce ». Une femme sollicitait un guett (acte de divorce) depuis 5 ans. Sans ce document, elle était empêchée de se remarier et ses enfants ne pouvaient pas se marier avec des juifs. Elle a ainsi signé un chèque de 90 000 euros pour récupérer le précieux document. Retour sur cette pratique particulière du judaïsme.

©  Benjamin BARDA/CIRIC La tradition du guett existe depuis plusieurs siècles, même si aujourd’hui, de moins en moins de juifs en connaissent l’existence et que les rabbins en ont une lecture beaucoup plus tolérante. Daniel Dahan, grand rabbin de Nancy, a écrit une thèse sur les « agounot » et le droit matrimonial hébraïque, preuve que le sujet reste d’actualité. Cette règle est inscrite dans la halakha, le système juridique qui régule la vie de la communauté juive, en tout lieu et en toute circonstance. Le droit matrimonial garde une place très importante dans la halakha.

Il convient dans un premier temps d’avoir en tête le caractère sacré du mariage dans le judaïsme pour comprendre la complexité des règles et des rites qui l’entourent. Kidouchine, le mot hébreu pour mariage, signifie également « sanctification », comme pour souligner le caractère indéfectible et exceptionnel du mariage. Il reste cependant défavorable à la femme, car celle-ci ne dispose que de très peu d’autonomie. Ainsi, une femme mariée selon les rites juifs ne peut divorcer de son époux sans son consentement. Il est le seul habilité, sans contrainte, à valider le divorce.

Dans le cas d’un époux porté disparu ou suspecté mort, la veuve doit apporter une preuve absolue du décès pour pouvoir se remarier. Si le couple n’avait pas d’enfants, elle peut épouser l’un de ses beaux-frères pour assurer la descendance de son mari. Dans la pratique, ces trois règles sont de moins en moins appliquées. Mais des abus sont toujours recensés un peu partout à travers le monde et des associations « d’agounot » ont été créées en Israël ou en Angleterre.

Une sanction transmise de génération en génération

Une femme qui se retrouve dans ce no man’s land où son mariage ne peut être invalidé ou annulé est considérée comme une agouna. Elle est toujours « ancrée » à son époux. Les conséquences pour elle et sa famille peuvent être désastreuses. Les enfants qu’elle concevrait hors mariage deviennent de fait des mamzerim (littéralement « bâtard » ou « étranger » selon les différentes traductions). Ces enfants jugés adultérins ne peuvent pas épouser religieusement des personnes juives. Dans une communauté réputée unie et très traditionnelle, ne pas pouvoir se marier avec un coreligionnaire est dommageable. D’autant plus problématique, cette sanction s’applique à toutes les générations suivantes. La femme ne se pliant pas à ces règles prend donc le risque que ses enfants et les générations suivantes soient considérés comme des parias dans leur propre groupe.

Malgré un manque apparent d’égards pour la femme, il est important de bien comprendre l’esprit de cette loi, ainsi que les devoirs imposés à l’homme. Elle a été rédigée à une époque où il y avait très peu de divorces et où la fidélité conjugale était extrêmement importante. Des lois contraignantes ont ainsi été mises en place pour décourager ceux qui voulaient briser la famille juive, au sens large du terme.

L’homme n’est entier qu’avec la femme

Les hommes, bien que plus favorisés que les femmes, doivent aussi respecter certaines lois. Ce que toujours très peu de juifs savent : un homme ne peut divorcer sans le consentement de sa femme. Certes, ses enfants ne seront pas des mamzerim, mais il demeure important d’apporter cette précision. De plus, la Torah précise que la femme et l’homme sont complémentaires et interdépendants. Un homme n’est entier que lorsque sa femme vient compléter son être. En outre, certains contrats prénuptiaux obligent le mari (et son épouse) à accorder le guett en cas de divorce, facilitant ainsi cette démarche.

Quelques rabbins ont eu, au fil des siècles et jusqu’à aujourd’hui, une lecture du droit rabbinique beaucoup plus favorable à l’homme, ou plus préjudiciable à la femme. Mais la lecture précise et objective peut donner un tout autre résultat. Un homme a l’obligation, lorsqu’il est marié, d’assurer le confort de sa femme. Dans le cas récent cité ci-dessus, qui a fait scandale dans la communauté juive, on peut considérer que l’époux, refusant de donner le guett, devait continuer à subvenir aux besoins de celle qui est toujours son épouse (au cas où il ne l’aurait pas fait). Et non pas lui demander des fonds pour payer «  le prix de sa liberté ».

Aujourd’hui, dans une société où le divorce s’est banalisé (420 guetts pour 1000 mariages par an à Paris), ces mesures pourraient paraître incompréhensibles et inacceptables pour beaucoup. Il est crucial aujourd’hui, c’est vrai, de donner la possibilité à la femme de choisir son avenir sans que cela n’ait d’impact ni sur elle ni sur celui de ses enfants.

 

Le Monde des Religions

Fatima Achouri

Sociologue spécialiste de l’islam contemporain.

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