Le regroupement des islamistes en prison jugé « potentiellement dangereux »

Quartier de la prison de Fresnes, en juin 2011.     Adeline Hazan, la contrôleuse générale des lieux de privation de liberté (CGLPL), est allée voir comment se passait le regroupement des islamistes en prison, à Fresnes surtout, dans le Val-de-Marne, où les radicaux sont enfermés dans une unité particulière depuis octobre 2014, une mesure que le premier ministre veut étendre à quatre autres quartiers de la région parisienne et à un dans le Nord.

La contrôleuse générale, dans un avis rendu le 30 juin, n’y est pas favorable. Le regroupement est « potentiellement dangereux », ne correspond à aucun régime légal et peut glisser vers un régime d’isolement, à la discrétion de l’administration, sans les voies de recours habituelles. La garde des sceaux a répondu qu’elle partageait ces inquiétudes, qu’il n’était pas question de créer un régime de détention spécifique et qu’on travaillait à améliorer la prise en charge.

Adeline Hazan relève d’abord que la prison « est loin d’être le lieu premier de la radicalisation », puisque 16 % seulement des détenus soupçonnés d’islamisme avaient déjà été incarcérés auparavant – mais « il n’est pas contestable que le phénomène de radicalisation s’amplifie en milieu carcéral ». A Fresnes, le directeur a commencé à changer de cellule les détenus qui posaient problème, c’est-à-dire 22 des 29 personnes poursuivies pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste (ils sont 190 en France) qui se signalaient par un comportement prosélyte – interdiction d’évoquer des sujets « profanes », d’être nu dans les douches communes… Cette initiative « n’ayant pas suffi à Faire revenir le calme », le directeur les a regroupés dans une « unité de prévention du prosélytisme » (U2P), sans autre prise en charge – et sans prévenir la chancellerie.

 

Les surveillants ne trouvent pas que le dispositif « ait eu un effet apaisant sur le reste de la détention ». Quant aux détenus regroupés, que les contrôleurs ont tous rencontrés, ils craignent « d’être étiquetés durablement comme islamistes radicaux » et de ne pouvoir eux-mêmes « se défaire de l’emprise de leurs codétenus ». Adeline Hazan juge d’ailleurs le critère de sélection « discutable » : il ne prend pas en compte les prosélytes qui ne sont pas poursuivis pour terrorisme, et le risque de stigmatisation est réel.

« Sans cadre juridique »

Seuls cinq détenus radicaux de Fresnes ont une cellule individuelle, mais tous vont en promenade ensemble et peuvent participer aux activités habituelles, mais pas à plus de trois à la fois. La généralisation du système à cinq autres quartiers inquiète la contrôleuse. Regrouper tous ces détenus en région parisienne, d’où qu’ils viennent, peut être contre-productif : le maintien des liens familiaux est un droit, et la famille joue un rôle pour ramener les jeunes à la raison. « Toutes les conséquences ne paraissent pas avoir été envisagées à long terme », indique le CGLPL.

 

Le programme de déradicalisation est testé, pour les volontaires, dans les maisons d’arrêt d’Osny (Val-d’Oise) et Fleury-Mérogis (Essonne), par l’Association française des victimes de terrorisme et l’Association dialogue citoyen. Vingt personnes, en cellule individuelle, y seront incarcérées et devraient avoir accès aux services communs de la détention – mais feront promenade à part : « Le risque existe qu’une nouvelle catégorie de personnes détenues soit créée, sans cadre juridique », s’inquiètent les contrôleurs. Il est un peu tôt pour juger de l’effet de ces programmes, qui n’ont démarré qu’en mai. Il s’agit « d’investir la période de détention par des stages de citoyenneté, des groupes de parole et toute activité qui paraît utile pour briser le repli identitaire ». Et stopper la violence, sans remettre en cause l’attachement à l’islam : « Le libre exercice du culte est garanti par le principe de laïcité, à valeur constitutionnelle », bien que le nombre d’aumôniers musulmans soit très faible – à Fresnes, un imam pour 1 300 musulmans.

Reste l’éternel problème de la surpopulation carcérale, qui entraîne « une promiscuité propre à favoriser des comportements radicaux ». A la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis, 4 200 détenus s’entassent dans 2 600 places ; à Osny, 928 personnes dans 580 places : la règle de l’encellulement individuel, prévu par la loi du 15 juin 2000, n’a cessé d’être reportée.
Le Monde.fr

 

F. Achouri

Sociologue.

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