La présence sur le sol français de millions de musulmans de plus en plus visibles, avec le voile en particulier, soulève la question des capacités d’acceptation et d’intégration des sociétés d’accueil. Le port du voile ne serait en soi ni un signe d’intégration ni un signe d’exclusion des femmes, mais relèverait davantage d’un phénomène d’acculturation. Alors qu’il ne suscite aucune controverse lorsqu’on le sait porté dans l’espace privé (domicile, mosquée), dans l’espace public, le voile reste globalement assez mal perçu. Et si le voile est devenu un des principaux symboles de l’islam c’est plutôt en raison de la confrontation avec l’Occident et son caractère antagonique avec la culture occidentale du corps. Car le voile s’oppose radicalement au monde occidental dans la gestion des mœurs et le dressage des corps. Le traitement de la question du voile est d’autant plus complexe que son port renvoie à une diversité de significations, qu’il reflète des stratégies variées et revêt des formes très différentes. Car il n’est pas uniquement un signe religieux. Si l’on en croit une étude de comparaison européenne sur le port de signes religieux, « le voile relève aussi de l’affirmation identitaire en situation migratoire, de la négociation d’une identité féminine entre autorité familiale traditionnelle, fragilisée par les mouvements migratoires, la crise, le chômage et des sociétés d’accueil plein d’idéaux, sinon de pratiques féministes[1]. »
Le port du voile s’est développé dès la fin des années 1980 du fait des revendications identitaires de la seconde génération d’immigrés musulmans à la recherche d’une autre voie que l’assimilation ou de l’exclusion. Il a en effet fait beaucoup débat à cette période, donnant lieu à une polémique particulièrement vigoureuse dans les milieux féministes et politiques avec l’affaire très médiatisée des lycéennes voilées, qui connut comme point d’orgue le vote de la loi du 15 mars 2004 interdisant le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, collèges et lycées publics. L’actualité juridique concernant le port du voile en entreprise, a depuis également mis en lumière, s’il en fallait, toutes les ambiguïtés et les subtilités en matière d’interprétation des textes juridiques relatifs au droit du travail pour les services de gestion en ressources humaines. Dans le monde du travail, l’affaire emblématique du voile, avec en toile de fond des revendications communautaires, fut celle de la crèche Baby Loup dans les Yvelines. En effet, cette crèche de droit privé fut accusée par l’une de ses salariées de l’avoir licenciée pour « insubordination caractérisée et répétée » et pour « faute grave ». Après un feuilleton judiciaire long de plusieurs mois, c’est finalement la Cour de cassation qui donnera raison à la crèche Baby Loup en juin 2014. La salariée déboutée a depuis fait appel de la décision auprès de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH).
Depuis plus de deux décennies, la question omniprésente de l’intégration des femmes voilées a ouvert la brèche, sournoisement, à une banalisation des actes et des propos islamophobes dans la société française, aggravée en particulier par les différentes lois votées contre le voile en 2004 et celle contre la burqa (voile intégral) en 2011, faisant des femmes voilées les premières victimes d’agressions islamophobes. Alors que peu de médias relatent ces faits, le CCIF[2](association qui luttait contre les discriminations envers les musulmans depuis 2003), dissous en 2020 par le ministre de l’Intérieur G. Darmanin, constatait chaque année une recrudescence des agressions à l’encontre de ces femmes. Ces lois remettaient en question un droit fondamental et inaliénable, celui de la liberté religieuse qui, dans ce cas, passe par l’acte de se voiler, et que la France devrait pourtant garantir, conformément à l’article 9 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme relatif à « la liberté de pensée, de conscience et de religion » dont elle est signataire.
Le voile n’est pas un pilier de l’islam mais c’est tout comme tant il est omniprésent dans les habitus, dans l’espace public et au cœur des programmes de l’islam politique où toutes les écoles juridiques musulmanes s’accordent à l’unanimité sur la question de la place de la femme. Le voile est devenu un marqueur identitaire puissant qui se déploie en masse sur le marché de la consommation où il fleurit partout, notamment chez des filles de plus en plus jeunes. Un voile qui a même été un enjeu lors du deuxième tour de l’élection présidentielle de mai 2022 qui opposait Marine Le Pen au président sortant Emmanuel Macron au nom de la défense de la laïcité, lorsque Marine Le Pen annonce de manière calculée qu’elle interdirait le port du voile dans l’espace public si elle était élue. Des musulmans qui, malgré des difficultés grandissantes au quotidien depuis l’élection d’E. Macron en 2017, se sont laissé berner par cette manipulation politicienne grossière et ont voté majoritairement contre Marine Le Pen. Car même si cette interdiction de l’aveu même des spécialistes du droit n’est dans les faits pas applicable, elle révèle qu’au-delà de la figure de Marine le Pen et de sa famille politique, nous aurions rencontré le même vote sanction ailleurs, tant le contrôle du corps de la femme est un sujet prégnant chez une majorité de musulmans en France. Pourtant, Emmanuel Macron qui a recueilli lors de cette élection plus de 80 % du vote musulman, traditionnellement plutôt à gauche, grâce à une communication savamment dosée n’est guère plus favorable au voile, qu’il assimile à une régression de la femme sur le plan des libertés individuelles. Depuis, avec entre autres la loi sur le séparatisme votée en 2022, le président Macron a démontré qu’il n’est pas plus accommodant avec les musulmans que ne l’est Marine Le Pen, un électorat qu’E. Macron en bon communicant avait su subtilement draguer en 2017 avant son premier mandat. N’est-ce pas sous l’ère Macron que les mesures les plus liberticides à l’encontre des musulmans ont été prises sous couvert d’une lutte contre le terrorisme islamiste ? Et que les musulmans ne s’y trompent pas, les très bons scores réalisés au cours des élections européennes dans les banlieues et certaines grandes villes du 93 et du 78 notamment par la France Insoumise de Jean-Luc Mélenchon en raison de son soutien à la Palestine, ne rendent pas le patron de la LFI plus favorable au voile et aux musulmans en général, même si en apparence, tout laisserait à croire le contraire.