Les relations entre Paris et Riyad en question après les attentats

         Depuis les attentats de Paris, des voix s’élèvent pour dénoncer les liens entre la France et l’Arabie saoudite, accusée de soutenir financièrement le terrorisme en Syrie et de défendre l’islamisme radical, marque de fabrique du groupe État islamique.

Face aux critiques qui épinglent également le Qatar, le gouvernement a assuré avoir toute confiance en ses alliés du Golfe – membres de la coalition anti EI – soulignant que leur lutte contre l’organisation jihadiste était « incontestable ».

« La France n’est pas crédible dans ses relations avec l’Arabie saoudite », estime l’ex-juge antiterroriste Marc Trévidic dans une récente interview aux Échos. « Nous savons très bien que ce pays du Golfe a versé le poison dans le verre par la diffusion du wahhabisme. Les attentats de Paris en sont l’un des résultats », dit-il. « Proclamer qu’on lutte contre l’islam radical tout en serrant la main au roi d’Arabie saoudite revient à dire que nous luttons contre le nazisme tout en invitant Hitler à notre table. »

Traditionnelle alliée des États-Unis, l’Arabie saoudite s’est rapprochée de la France ces dernières années à la faveur des dossiers syrien et iranien dans lesquels Paris a adopté une ligne dure, en réclamant le départ de Bachar el-Assad et un accord solide sur le programme nucléaire de Téhéran.

Ce rapprochement s’est traduit cette année par la signature d’accords et de lettres d’intention d’une valeur de dix milliards d’euros et par la présence en mai de François Hollande au sommet extraordinaire du Conseil de coopération du Golfe.

 

« Daech a un père : L’Arabie saoudite »

Mais à l’heure où Paris souhaite mettre en place une coalition de lutte contre l’EI, l’écrivain algérien Kamel Daoud appelle la France et plus largement l’Occident à ouvrir les yeux concernant l’Arabie saoudite.

« Daech (acronyme arabe de l’EI, ndlr) a une mère : l’invasion de l’Irak. Mais il a aussi un père : l’Arabie saoudite et son industrie idéologique », écrit-il dans une tribune publiée dans le New York Times. « Dans sa lutte contre le terrorisme, l’Occident mène la guerre contre l’un tout en serrant la main de l’autre. »

L’émir du Qatar, accusé régulièrement de financer ou d’apporter son soutien à des groupes sunnites radicaux depuis le début du printemps arabe, a assuré l’an dernier que son pays ne finançait pas des groupes extrémistes comme l’EI.

L’Arabie saoudite a de son côté démenti en 2014 par la voix de son ambassadeur au Royaume-Uni tout soutien ou financement aux « meurtriers réunis sous la bannière de l’État islamique ».

La semaine dernière, Manuel Valls a déclaré qu’il n’avait aucune « raison de douter aujourd’hui de l’engagement » du Qatar et de l’Arabie saoudite qui luttent de manière « incontestable » contre l’EI. « On se fourvoie en pensant que ces pays-là soutiennent officiellement Daech, c’est une absurdité sur laquelle on n’a jamais eu le moindre renseignement sérieux », souligne une source gouvernementale française. « Après, qu’il y ait des radicaux dans ce pays qui envoient de l’argent directement ou indirectement c’est un fait. »

« Il faut accroître la lutte contre le financement des groupes terroristes, c’est une évidence », ajoute cette source. Mais « les Qataris sont sérieux, ils essaient de faire ce qu’il faut pour contrôler les flux financiers ».

« Absurdité »

Selon le directeur de recherche au centre français de recherche sur le renseignement (CF2R) Alain Rodier, le Qatar et l’Arabie saoudite, monarchies sunnites, ont financé plusieurs forces d’opposition au président alaouite (branche du chiisme, NDLR) Bachar el-Assad au début du conflit, en 2011.

« La rébellion a été soutenue à ce moment-là directement par l’Arabie saoudite, le Qatar et les autres États du Golfe », souligne-t-il. « Le Qatar soutenait les groupes d’obédience Frères musulmans et l’Arabie saoudite finançait un peu les autres groupes. Au départ, l’État islamique n’existait pas mais il a tout de même pu en bénéficier d’une manière indirecte. »

Depuis 2014 et la création de l’EI, les donations privées à Daech ne représenteraient qu’un montant infinitésimal par rapport aux autres sources de revenus du groupe, selon le chercheur. « Il semble depuis que les financements gouvernementaux ont cessé », ajoute-t-il. Les Saoudiens se sont notamment « rendus compte que Daech représentait un risque de stabilité pour le régime des Saoud. »

Depuis l’an dernier, plusieurs attaques ont été commises en Arabie saoudite contre des lieux chiites ou contre les forces de sécurité et ont été revendiquées par l’EI.

« Les prochains à être vraiment déstabilisés par tout ça, ce sont les pays du Golfe, on ne sera pas très contents quand l’Arabie saoudite aura été déstabilisée par Daech », souligne la source gouvernementale. « On a donc intérêt à discuter avec eux ».

 

L’Orient Le Jour

 

F. Achouri

Sociologue.

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