Le Soudan du Sud, qui a accédé à l’indépendance en 2011, est en proie depuis mi-décembre à un conflit interne au régime et à l’armée qui a déjà fait plusieurs milliers de morts. Pour Sébastien Fath , loin d’être cause du conflit, le facteur religieux joue un rôle d’unité sous-estimé dans ce pays.
« Constituer des réserves d’eau et de nourriture pour au moins trois jours, par précaution. » Telle est la consigne donnée par l’ambassade de France au Soudan du Sud en ce mois de mars 2014. Métaphore du temps pascal, oscillant entre ombre de la mort, et espoir de résurrection ? Cet appel anticipe le pire mais prépare l’avenir. Une manière de ne pas oublier que le cœur du petit dernier des nations africaines bat toujours. Mais que c’est difficile ! Les causes immédiates de ce conflit fratricide s’ancrent dans la rivalité entre le président en exercice, Salva Kiir, rattaché à l’ethnie majoritaire, les Dinkas, et son ancien premier ministre, Riek Machar, membre de l’ethnie nuer. Lorsque la spirale des violences s’est emballée, les forces centrifuges des allégeances tribales ont joué à plein régime.
De politique, le conflit a dégénéré en affrontement interethnique. D’un côté, les troupes gouvernementales restées fidèles au président Kiir, contrôlées principalement par la tribu dinka. De l’autre, des rebelles largement puisés dans les rangs de l’ethnie nuer, tribu d’origine de Riek Machar. Entre les deux : des populations civiles martyrisées, et un avenir en miettes. À l’heure actuelle, une large moitié du pays s’est embrasée. Plus de 10 000 tués recensés. Quant aux populations déplacées, elles seraient près de 600 000, sur une population totale de moins de 12 millions d’habitants. Pour l’heure, rien n’annonce une fin prochaine de ces combats.
Comment en est-on arrivé là ? Un séjour de recherche à Juba, achevé juste avant le début des hostilités, fait ressortir plusieurs éléments d’explication. Le pays est géré par un « État fantôme » bien démuni devant la misère omniprésente et le mal-développement. La rapacité des cleptocrates est un autre facteur explosif. Sans oublier les appétits de puissances régionales qui espèrent vassaliser le pays à leur avantage. Faut-il pour autant prophétiser la fin ? C’est oublier le rôle du ciment religieux, souvent sous-estimé. Le demi-siècle de guerre intersoudanaise contre Khartoum, capitale d’un Soudan du Nord islamisé, ne se résume certes pas à un choc géopolitique entre islam politique du Nord et bloc chrétien et animiste du Sud. Mais le christianisme n’en constitue pas moins un trait d’union essentiel entre les citoyens du nouvel État. L’ethnicité, l’intérêt économique, l’étiquette politique alimentent des ferments de sédition et de guerre. Pas la religion ! L’Église catholique (à laquelle appartient Salva Kiir) et le protestantisme (auquel se rattache Riek Machar) se donnent la main, s’emploient ensemble pour la réconciliation et la paix. Une voix dans le désert ? Peut-être. Mais une voix d’espoir pour l’incertaine nation sud-soudanaise, qui peut reprendre à son compte le titre du témoignage publié par Naomi Baki, Sud-Soudanaise réfugiée en France (lire La Croix du 15 octobre 2013) : Je suis encore vivante (2).
La Croix