«C’est dans une relation apaisée qu’on peut faire bouger les lignes.» Psychologue clinicienne et psychosociologue, animatrice de nombreux ateliers à destination des adolescents comme des enseignants, Édith Tartar-Goddet est par ailleurs présidente de l’Association protestante pour l’éducation et l’enseignement, un mouvement de la Fédération protestante de France qui milite pour une laïcité « ouverte ». À ses yeux, la Charte de la laïcité à l’école que vient de publier le ministère de l’éducation nationale risque fort de n’être qu’un « coup d’épée dans l’eau ».
« Ce dont l’école aurait besoin, c’est d’un rapport plus apaisé à la laïcité, d’une juste distance avec les religions », avance cette praticienne. Au quotidien, elle constate les « réactions souvent épidermiques » de certains enseignants au sujet de la religion, comme cette enseignante qui, début septembre, a vu de loin l’une de ses anciennes élèves s’approcher avec sa mère de son établissement scolaire avec un voile sur la tête.
« Sans même lui dire bonjour, elle a foncé vers elle et lui a demandé : “Tu ne comptes quand même pas entrer comme ça ?” », raconte-t-elle. De même, les discussions entre collègues témoignent elles aussi d’un « malaise fréquent à l’égard du religieux ».
Vivre la conflictualité intérieure
Si Édith Tartar-Goddet ne conteste pas que certains élèvent fassent preuve parfois de « raideur » dans leur rapport à la religion, contestant par exemple la légitimité d’un enseignant à aborder tel sujet.
« Ils vont aussi les interpeller pour leur demander s’ils croient en Dieu, et à quelle religion ils appartiennent. Les plus âgés sont généralement furieux. Les jeunes ne sont pas stupides, c’est un plaisir pour eux de titiller les adultes sur les questions dont ils sentent qu’elles ne sont pas réglées. »
Pour cette spécialiste, il convient avant tout d’apprendre à ces jeunes à « vivre dans la conflictualité intérieure, les amener à assister à un cours avec lequel ils ne sont pas d’accord, en reconnaissant leur droit à ne pas être d’accord ».
Ceci au moyen d’un « accompagnement tolérant » dont les directeurs d’établissement – principaux de collège ou proviseurs de lycée – feraient plus souvent preuve que les enseignants. « Le problème, et donc la solution, sont avant tout relationnelles. Répondre par de la rigidité ne peut entraîner que du conflit », estime Édith Tartar-Goddet.
Un « concentré » de textes
De son côté, le fondateur du lycée musulman Averroès à Lille et président de l’Union des organisations islamiques de France (proche des Frères musulmans) constate que la Charte de la laïcité est surtout un « concentré facile à lire et à retenir » de textes existants, qu’il s’agisse de la Constitution, la loi de 1905 ou la loi de 2004 sur les signes religieux à l’école.
« Mais sur le fond, elle n’apporte rien », fait-il valoir, reprenant à son compte l’une des critiques exprimées par le président du Conseil français du culte musulman, le recteur de la Grande mosquée de Paris, Dalil Boubakeur : « On dit que les mêmes droits et les mêmes exigences s’appliquent à tous, mais quand on fait un article sur les signes religieux, ce n’est pas compliqué de savoir que c’est le foulard qui est visé ! »
Au-delà, l’idée d’une laïcité « faisant abstraction de toute conviction » lui apparaît suspecte : « On dit à l’élève : “Tu n’es ni juif ni musulman ni catholique, tu laisses ta foi au vestiaire”. À la limite, on lui demande de se comporter comme un robot. Mais surtout en ce moment, en France comme dans l’actualité internationale, on voit bien que la religion fait partie de la société. »
Pour ce responsable musulman, qui reconnaît lui aussi bien volontiers l’existence de « lectures extrémistes, intégristes » en islam, la solution ne consiste pas à « rejeter la religion de la sphère publique ».
Aller « en profondeur »
« Si l’on veut régler le problème en profondeur, alors il faudrait pouvoir discuter de ce genre de choses, et dire aux jeunes, qui voient tous les soirs des images de ce qui se passe à l’étranger, “viens, on va en parler sereinement, analyser ce qu’il y a derrière les mots” », avance Amar Lasfar. « Il ne devrait pas y avoir de sujet tabou. Et en France, la religion est un peu taboue. » Une analyse qui pose la question de la place accordée, dans les programmes de l’éducation nationale, au fait religieux…
Côté juif, le président du Consistoire central, Joël Mergui, a prévu d’aborder le sujet mardi 10 septembre 2013 à l’occasion de la cérémonie des vœux du ministre de l’intérieur à la communauté juive pour Roch Hachana. La Conférence des évêques de France, n’était pas, lundi 9 septembre, joignable.
Source : La Croix