L’ICI Goutte-d’Or, où le culturel avoisine le cultuel

L'ICI Goutte-d'Or, où le culturel avoisine le cultuel

 

Dans le hall d’entrée, chacun sa direction. Des hommes filent tout droit en direction de la salle de prière, la barbe longue ou soigneusement taillée, tête nue ou coiffée d’une chechia, en djellabas ou en baskets. A leurs côtés, des visiteurs au look citadin, jean, jupes ou costumes, tournent à droite, montent à l’étage où se tient l’exposition. Deux publics qui se côtoient sans se rencontrer. Le culturel et le cultuel l’un à côté de l’autre.

Inauguré le 28 novembre 2013, l’Institut des cultures d’islam (ICI) dans le quartier de la Goutte d’Or à Paris a la particularité d’être un lieu hybride : centre d’art contemporain et salle de prière. L’ICI Goutte d’Or accueillera les travaux de tout artiste s’intéressant d’une manière ou d’une autre à l’islam et aux cultures présentes dans des lieux à majorité musulmane.

Entrelacs artistiques, entrelacs islamiques ?

La mairie de Paris y a investi 13,5 millions d’euros. Afin que la loi de 1905 (selon laquelle la République ne reconnaît ni ne subventionne aucun culte) soit pleinement respectée, la salle de prière au premier étage a été revendue pour 2,2 millions d’euros au propriétaire de la Grande Mosquée de Paris, la société des habous et lieux saints de l’islam.

A l’ouverture du lieu, l’éventualité d’une ingérence de la société des habous et lieux saints de l’islam sur les choix artistiques de l’ICI faisait grincer des dents.  Le président du conseil d’administration de l’ICI, Jamel Oubechou, ne s’en inquiète pas outre mesure. « La question de la proximité avec la salle de prière ne s’est pas posée lors de l’élaboration de la programmation culturelle. L’association cultuelle n’a pas de droit de regard sur ce que l’on présente. » La cohabitation avec le lieu de culte pourrait être, au contraire, un atout à jouer. « Nous espérons recevoir des suggestions provenant de fidèles ».

Lieu d’exposition, de culte… et hammam

Un moucharabieh d’inox perforé recouvre la façade du bâtiment siglé Haute Qualité Environnementale. Comme un souffle d’inspiration musulmane sur des vertus bobo-écolos. L’ICI Goutte d’Or abrite également un hammam qui devrait ouvrir au public prochainement. L’autre objectif du lieu se dessine clairement alors : mêler un public hétérogène.

Après plus d’un mois de fonctionnement, le pari semble tenu. Le nouvel établissement n’a pas à rougir de son affluence. Il comptait plus de 2000 visiteurs le premier week-end et 400 visites par jour en moyenne ensuite. Les visiteurs proviennent en proportions comparables de l’hyper-local (la Goutte d’Or et le XVIIIe arrondissement en général), de Paris et de l’Ile-de-France.

A l’ICI, on se réjouit déjà du mélange des publics : « Les fidèles musulmans viennent pour la prière mais peuvent également faire un tour par l’exposition, tandis qu’après avoir admiré le travail des artistes, le « cultureux » va s’interroger sur la place du culte dans les quartiers parisiens. Et bientôt, on verra sans doute des jeunes filles sortir du hammam et flâner parmi les œuvres. » Les commerçants aux alentours confirment. Ils remarquent l’affluence des fidèles en grand nombre le vendredi et, régulièrement, des touristes venus d’autres « quartiers parisiens, d’autres villes ou même d’autres pays », explique le boulanger en face de l’ICI.

Pour relever justement ce pari de l’ouverture à l’internationale, la prochaine exposition « Et pourtant ils créent » accueillera le travail d’artistes syriens. Le centre ne perd pas de vue son ancrage local et travaille avec des associations d’insertion, de l’aide aux anciens ou directement avec des établissements scolaires ou des maisons de retraite. 

Battre en brèche les clichés

En six semaines d’existence, l’établissement ne fait état d’aucune anicroche entre les cultureux et les cultueux. L’administration concède tout juste l’existence d’un incident, « une anecdote, plutôt ». La photographie d’une danseuse du ventre relativement dénudée aurait interpellé quelques fidèles. L’occasion d’amorcer un dialogue. Jamel Oubéchou, le président du conseil d’administration, veut faire de ce lieu un bastion contre les on-dit : « Aujourd’hui on entend souvent des propos réducteurs autour de l’islam. On confond islam et islamisme. On dit que l’islam est contraire à la créativité artistique. » A terme le lieu devrait accueillir également séminaires, conférences et colloques sur l’islam.

Prouver qu’il est encore possible de parler de la foi musulmane sans seriner des clichés, rendre hommage à une créativité née autour de l’islam, rétablir le dialogue dans une époque crispée sur les identités religieuses : le projet de l’ICI est ambitieux mais il pourrait aboutir sur un certain changement des mentalités.

 

Le Monde des Religions.fr

F. Achouri

Sociologue.

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