La loi confortant le respect des principes de la République, aussi dite « séparatisme », a renforcé le contrôle de l’Etat sur l’activité des associations cultuelles, au risque de permettre à celui-ci de restreindre la liberté de culte selon les instances chrétiennes qui ont déposé des recours à l’encontre de certaines dispositions de cette loi. Jean-Daniel Roque, président de la commission Droit et liberté religieuse au sein de la Fédération protestante de France (FPF), explique à Saphirnews les raisons et les attendus de la contre-attaque juridique.
C’est confirmé, le Conseil constitutionnel devra se prononcer sur le titre II de la loi confortant le respect des principes de la République (CRPR), c’est-à-dire sur la garantie du libre exercice du culte, modifié par les articles 68 à 88 de ce texte de loi voté le 24 août 2021.
Mi-mai, le Conseil d’État a confirmé avoir transmis aux neuf sages du Conseil constitutionnel les deux recours déposés par cinq institutions catholiques, protestantes et orthodoxe : l’Union des associations diocésaines de France, la Conférence des évêques de France (CEF), la Fédération protestante de France (FPF), l’Union nationale des associations cultuelles de l’Eglise protestante unie de France et l’Assemblée des évêques orthodoxes de France (AEOF). Attendue dans un délai de trois à quatre mois, la réponse de l’institution judiciaire devrait apporter de la clarté face aux craintes et aux contestations que cette loi a suscité, particulièrement auprès des associations cultuelles musulmanes.
Mais sur quelles dispositions les instances chrétiennes ont-elles déposé des recours ? « Avant le vote de la loi, les parlementaires avaient déjà saisi le Conseil constitutionnel sur le titre I de la loi. Il chapeaute les articles 1 à 67 et traite du « respect des principes de la République et des exigences minimales de la vie en société ». Mais le titre II qui concerne les articles 68 à 88 et traite de « la garantie de libre exercice du culte », n’était pas concerné. C’est cette garantie qui a fait l’objet des question des instances chrétiennes », nous indique Jean-Daniel Roque, président de la commission Droit et liberté religieuse de la FPF.
L’Etat décide seul, au risque de limiter la liberté de culte
Et le responsable associatif d’expliquer qu’au début du siècle dernier, les parlementaires qui ont travaillé sur la loi de 1905 concernant la séparation des églises et de l’État avaient été très attentifs à toutes les expressions des représentants de culte. « Et bien leur en a pris, affirme-t-il. Grâce à cela, la loi 1905 a été un texte pacificateur. Elle a permis d’apaiser les tensions qui traversaient la société française à l’époque. »
Or, la loi CRPR bouscule les équilibres trouvés en 1905. Auparavant, un préfet pouvait contester la gestion d’une association cultuelle sous l’égide de la loi de 1905, mais il devait saisir un tribunal civil pour obtenir gain de cause. Avec la nouvelle législation, un préfet décide seul de la conformité d’une association cultuelle. Si les responsables de cette association contestent, ils ne peuvent plus saisir un tribunal civil mais se retrouvent devant un tribunal administratif. « En somme, l’Etat décide tout seul de la conformité d’une association cultuelle », souligne Jean-Daniel Roque, pour qui cette disposition est clairement une atteinte à la liberté d’association et à la liberté de culte.
Par ailleurs, la loi CRPR augmente considérablement les contraintes administratives ou légales et les contrôles comptables des associations cultuelles. Elles doivent se déclarer auprès du préfet tous les cinq ans. Au niveau comptable, les dons et avantages venant de l’étranger de plus de 15 300 € doivent être déclarés, et obligent à organiser la certification des comptes à partir de 50 000 € pour les associations cultuelles, alors que cette obligation n’existe qu’au-delà de 153 000 € pour toutes les autres associations. Alors même que les études montrent que les sommes arrivant de l’étranger sont beaucoup plus importantes dans les domaines du sport ou de la culture.
Autre point contesté par les instances chrétiennes, la définition d’une association cultuelle. Il existe en effet deux types d’association qui gèrent des lieux de cultes. En plus des associations cultuelles dont les contraintes ont été sévèrement renforcées par la loi CRPR, il y a des associations plus classiques, au sens de la loi 1901. Elles ne s’occupent pas uniquement du lieu de culte, mais organisent également des activités culturelles ou artistiques, voire sportives. Les associations musulmanes organisent également des cours de langue arabe.
Or, la nouvelle loi définit les associations cultuelles comme « ayant des activités en lien avec l’exercice du culte ». Une définition très imprécise qu’un préfet peut interpréter à sa guise. « Cette nouvelle catégorie vise les associations 1901 qui organisent des « activités en relation avec l’exercice public du culte ». C’est une définition pour assujettir une association à des contraintes très fortes, voire la conduire à se transformer en association cultuelle (1905). Une telle nouveauté crée une très forte insécurité juridique », estime Jean-Daniel Roque.
Une clarification qui se fera attendre un peu
Toutes ces nouvelles dispositions complique la gestion des cultes, le plus souvent assurée par des bénévoles, et conduiront ainsi automatiquement à une réduction de la liberté d’exercice du culte. Loin de conforter les principes de la République, cette loi porte atteinte aux libertés acquises selon les instances chrétiennes, qui avaient déjà formulé leurs craintes de voir « une police de la pensée qui s’installe de plus en plus dans l’espace commun » dans dans une tribune parue en mars 2021.
Le Conseil constitutionnel va donc se prononcer sur la constitutionnalité du titre II du texte de loi. Par la suite, il restera au Conseil d’Etat à se prononcer sur les décrets d’application qui, pour les cultes, alourdissent les obligations au lieu de se contenter d’expliciter et de clarifier la loi. Autant dire que les responsables religieux, tous cultes confondus, devront attendre un peu avant de pouvoir bénéficier d’un environnement légal clair. Une situation qui n’inquiète pas outre mesure les responsables, car la nouvelle loi donne 18 mois aux associations pour s’adapter.